120 Nuances d’Afrique, Anthologie établie par Bruno Doucey, Nimrod et Christian Poslaniec, Paris: Éditions Bruno Doucey en partenariat avec Le Printemps des Poètes, 2017, ISBN: 978-2-36229-143-2, 288p. 20 Euros.
Quel pourra être le devenir de la littérature à l’ère Trump? Quelle est la réponse de la poésie face à la résurgence des politiques nationalistes et populistes; celles qui visent la suppression des ponts; celles qui célèbrent le repli identitaire dans des origines sans origine (il y a longtemps que les souches primaires d’ADN ont été entremêlées), et donc peu ou prou orignales?
L’anthologie ci-présente à travers son assemblage, de 120 poètes d’ascendance africaine et étant originaire de l’Afrique, des Iles Vanille, des Méditérranées, des Amériques et des Caraïbes, suggère la création d’un espace nouveau des voix pour répondre à la problématique ci-dessus formulées. Cet espace théorique parce que poétique, c’est les Afriques.
En effet, le discours poétique des Afriques est posé dans 120 Nuances d’Afrique en termes d’arme de destruction vocale massive. Elle tire à lettres réelles contre toutes formes de tours, ces murs de séparation, prénotions qui sont les trumpêtes de nos temps contemporains. Sont mis ainsi en scène les poètes d’avant, d’hier et d’aujourd’hui. Citons sans nuance ses intervenants tels que: Césaire, Yacine, Angelou, Dadié, Dalembert, Wheatley, Craveirinha, Lao, Achebe, Kariara, Hughes ou encore Semedo… Le but est de renforcer la stature de la pluralité des demains de la littérature, disons-le franchement: négroïde. Dans toutes ses nuances. Parce que, les nuances ainsi écrites émergent de facto comme la continuité de la problématique non épuisée de l’hybridité.
Et puisqu’ “écrire, c’est aussi une façon de compter” (Kandé), c’est-à-dire de rendre compte en contant comptant des réalités travaillées par des horizons géographiques et des historicités diverses et parfois divergentes; l’autre question sous-jacente serait de savoir “en quelle langue écrire?” Nos mémoires historiques. Nos vécus. Nos désirs. Ce d’autant plus qu’ “il y a peu de vent/ Pour rassembler nos mémoires” (Nivard). La solution c’est de parler créole. “Je parlerai créole!/… Afin de laisser un témoignage/ Aux héritiers de notre siècle” (Samedo). En d’autres termes, “maintenant que nous prenons/ Pied dans la lagune [langagière]/ Chaque chose admet[tra]/ L’illocalité de la pensée” (d’Almeida).
Et si la poésie des Afriques, dans ses nuances, a pour dénominateur commun l’Afrique, c’est parce qu’elle a fini par se retrouver partout. C’est pourquoi ses poètes négroïdes, eux aussi, habitent partout. Dans les provinces, pour reprendre Nimrod. Toutefois, de par son organisation géostratégique, l’ouvrage n’a pas pour ambition de supprimer les frontières, dans une fallacieuse ambition de réduire toutes les poétiques nègres à la mêmeté. Au contraire. Ce chef-d’oeuvre sublime chaque frontière qu’il visite en soulignant ses spécifités oratoires. Il les enrichit par les ponts qu’il jette comme la pointe d’une flèche qui avance. Mais, la tête pensante retournée en arrière. Vers l’Afrique. Manière de sankofa. En cela, les nuances ne sont donc pas altéricides. Elles se pensent plutôt en des liants sociaux. D’où la morphologie de la structure de l’oeuvre. Elle rappelle celle d’un collage multiplex, apposé sur la toile blanche du continent: la “terre, heureuse, dit-on, d’Afrique” (Weathley). La mosaïque ainsi produite devient donc une sorte de palimpseste que la notion des nuances vient compliquer, d’un point de vue théorique.
Les corps peuvent être momentanément géo-localisables dans cette nouvelle toile peinte. Mais le fruit de la pensée poétique qui constitue les Afriques, et partant, toutes ces nuances posées en mirroir par rapport à l’Afrique reste : fugace. Dans sa gestuaire : “Là juste au milieu/ A mi-chemin du sommet de la montagne/ il doit y avoir un endroit où nous pourrions demeurer” (Sinurinzi). Frivole. Dans son élan: “Le vin du savoir/ j’ai couru après cet elixir…/Ma révolte fut vaine/ pas de regret/… Je repars demain/l’aube en bandoulière”(Wabéri). Révolte. Dans ses regards: “Je ne baisserai plus la tête/ je plongerai mon regard dans vos vices/… vous m’aviez ôté la féminité/…et je vous remercie pour ce mal/… je vous pardonne/Vous êtes pardonnés” (Lao). Amour. Dans ses extases: “Gloire à celui qui étreint l’amour sous la mitraille” (El Amraoui). Colère. Dans ses vérités: “Je n’ai rien à te donner mais ma colère/… Toi, tu en as tant vendu et forcé comme moi à l’exil” (Chipasula). Détermination. Dans ses affrontements: “Vous pouvez me rabaisser dans les récits historiques/… Pourtant, comme la poussière, je m’élèverai”(Angelou). Questionnement. Dans ses quêtes de la mémoire historique: “Ceux qu’on/ exécuta/ sur les places/ publiques/ errent sur les places publiques/…Jusqu’à quand/ jusqu’à quand/ dureront nos errances?” (Tawa).
Ces nuances vocalisées, une fois rassemblées a posteriori, constituent des “nattes à tisser”. Elles n’ont pour attaches “que la somme des intersections/ [d]es échos de Babel” (U Tam’si). Les Afriques comme mosaïque des cultures et des civilisations négroïdes au service du monde de la poésie sont, en d’autres termes, l’expression de ces intersections qui se disent. Avec, l’Afrique comme la source originelle de ses inspirations. Ces intersections disent l’Afrique comme un continent mouvant, mû et mouvementé. C’est dans la pluralité de ces mouvements qu’il a toujours su produire la parole créatrice et libératrice. Celle qui a pour ambition de dompter la violence du monde, par la douceur des mots, pour parler comme Brumo Doucey.