Il est désormais habituel de tomber sur l’une de ces « chroniques », nom usuel donné aux brèves et nouvelles publiées sous la forme de chapitres à diffusion régulière sur Facebook.
Les chroniqueurs et chroniqueuses y entretiennent assidûment une communauté fidèle pendue à leurs publications sous forme de feuilletons de fiction, dont les personnages et leurs histoires rivalisent de réalisme avec les situations que nous vivons tous les jours.
Dans ce contenu en feuilletons, gratuit, numérique et disponible à la critique quasi instantanée, les chroniques africaines sont en bonne place en nombre d’abonnés. Nous dénombrons à ce jour plus de 150 chroniques africaines répertoriées, représentant plus de 40.000 abonnés. Entendons-nous tout d’abord sur le fait qu’une chronique africaine, est une chronique dont l’histoire se déroule en Afrique, ou alors celle qui met en scène des personnages africains, le tout sous la forme de publications épisodiques sur une page Facebook.
L’auteur (souvent auteure d’ailleurs) n’a généralement pas le profil d’un écrivain professionnel. Amateur de lecture, à l’imagination débordante, qui décida un jour de tropicaliser la température de son clavier au rythme de sa saisie effrénée, c’est un « écriveur » compulsif qui n’a pas le temps de construire son écriture au rythme du grincement régulateur d’un crayon glissant sur une feuille de papier. S’il est tout de même victime de l’angoisse de la page blanche, c’est bien souvent du premier jet que jaillira l’œuvre définitive, à l’inverse de l’écrivain classique, dont la création sera mûrie et consolidée. Il n’est donc pas rare de lire des commentaires de lecteurs dont les exigences sont souvent difficiles à remplir par les auteurs.
Le succès grandissant de cette forme d’écriture nous impose une réflexion approfondie sur ce phénomène social. Oui, il s’agit d’un phénomène social, malgré le côté virtuel qui n’est que sa forme. Cependant, pour être objectifs, il sera primordial de se pencher plus loin, sur le support de ce modèle d’écriture et de son impact.
Un soir, j’ai décidé d’explorer cet univers afin d’en percer le mystère et grande fut ma surprise de constater que les chroniques n’ont pas de public type. Jeunes et moins jeunes, célibataires, en couple, de toutes zones géographiques, femmes et hommes, lisent les chroniques qu’ils choisissent de suivre. Le phénomène touche toutes les couches de la population, tous pays confondus, avec néanmoins la réserve que je me suis imposée, la limite des chroniques d’Afrique francophone.
Il s’agit donc d’une véritable communauté d’utilisateurs, qui n’hésitent pas à se comporter en « clients » malgré le principe de gratuité des publications sur Facebook et donc des chroniques. Et les auteures, novices, se convertissent en vendeuses, éditrices, comptables à temps partiel en ce qui concerne la commercialisation de leurs œuvres. Les chroniques seraient-elles donc victimes de leur succès ? À ce propos, il vaudrait mieux partir du début, et pour cela, rappeler la pertinence du billet de blog de Acèle Nadale sur la place de ces chroniques dans la littérature africaine.
En ce qui me concerne, je ne puis m’empêcher de m’envoler vers un passé littéraire et de faire un parallèle entre le phénomène actuel et celui qui caractérisa l’émergence du mouvement littéraire du romantisme au XIXe siècle. Une révolution, en définitive, assortie de questionnements sur l’implication des acteurs de la littérature africaine, des médias africains, du législateur, et même, des décideurs politiques. Il est vrai que nous n’en sommes qu’aux prémisses du phénomène si l’on s’en tient au fait que le romantisme se soit étalé sur un siècle, mais tout de même, des éléments de similarité sont présents et permettent d’identifier plus rapidement et avec plus de facilité, une évolution.
À cet effet, la grande question que je me pose est la suivante : que fait le législateur africain ? Il est vrai que les conditions d’utilisation de Facebook sont censées encadrer les publications, mais il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une œuvre de l’esprit, et que des droits y soient associés. Une œuvre littéraire plus fragile d’ailleurs que celle qui est en général publiée sous sa forme papier, car sitôt écrite, sitôt lue, avec tout ce que cela comporte comme degré d’exposition, risque de critique, de duplication et de plagiat. Quel est l’accompagnement juridique à entrevoir pour l’auteur, novice en la matière ? Comment lui faire connaître ses droits et le sensibiliser sur ses obligations ? En cas de négligence, une œuvre littéraire est si vite spoliée ! Dès lors, un certain nombre d’interrogations sont soulevées :
1. Quels sont les droits des auteurs des chroniques africaines sur Facebook ?
La loi sur les droits d’auteur de Facebook : comme partout sur le web, le contenu que nous partageons n’est pas notre propriété, il est donc illégal de nous l’approprier. Facebook est d’ailleurs capable d’assurer la traçabilité d’une publication, par la voie de logiciels ou lorsque des utilisateurs signalent la publication. La réglementation de Facebook prévoit donc la suppression de tout contenu signalé comme contrevenant au respect du droit d’auteur, et la fermeture du compte en cas de récidive.
Pour savoir si l’on enfreint un droit d’auteur, il est donc évident qu’il faudrait s’attacher à la manière dont le contenu est publié. Pour cela, un principe simple : en général, en ce qui concerne les articles, celui qui publie le contenu est réputé en être l’auteur, et partager un contenu officier en mentionnant clairement la source est tout à fait légal, car il n’y a pas d’appropriation du contenu par l’utilisateur qui effectue le partage. Mais si tout était aussi simple, il n’y aurait jamais de litige porté devant le juge, me direz-vous, et à juste titre. La notion d’appropriation est au centre de la question. Par exemple, il y a une différence entre partager une publication en indiquant clairement notre source d’une part, et en copier le contenu pour le publier sans aucune mention de l’auteur d’autre part, comme s’il nous appartenait. Il ne faut pas non plus se contenter de mentionner la source, il faut que le lien y soit, ou la mention : « Razka Z. a partagé la publication de Yelli O. Là se situe la nuance (à ce propos, lire la déclaration des droits et responsabilités Facebook, point numéro 5 sur la protection des droits d’autrui).
2. Quelle est la place du droit d’auteur dans la « littérature instantanée » ?
Le droit d’auteur protège généralement toute création originale telle que des mots ou des images. Il ne protège pas les faits ni les idées, mais peut protéger les mots ou images originaux utilisés pour décrire une idée.
3. Comment lutter contre le plagiat ?
Ce qui est intéressant c’est que la protection du droit d’auteur s’étend au-delà des utilisateurs de Facebook ; ainsi, il n’est pas nécessaire d’être sur Facebook pour signaler une violation de son droit d’auteur. Facebook a mis en place un dispositif de signalement de toute infraction au droit d’auteur. Si un utilisateur estime qu’une violation de son droit d’auteur a été commise, il peut le signaler à Facebook en utilisant un formulaire prévu à cet effet, ou en contactant un agent DMCA désigné pour réclamation.
Lorsque j’ai pris connaissance de l’existence de l’agent DMCA (Digital Millennium Copyright Act) qui s’occupe d’enregistrer les réclamations concernant le droit d’auteur numérique sur Facebook, je n’ai pas pu m’empêcher de penser que bien que les choses aient été bien pensées pour que sur cette plateforme le contenu et le contenant bénéficient d’une protection de base et d’une vigie permanente, il n’en demeure pas moins que pour les auteurs africains, qui sortiront de l’univers des chroniques sur Facebook, et qui voudront par exemple commercialiser des livres numériques, la question reste entière.
Dans la majorité des pays touchés par ce phénomène, il n’a pas été légiféré sur le droit d’auteur d’une œuvre numérique, et plus généralement sur le droit du numérique. À titre d’exemple parmi quelques pays représentés par les auteurs des chroniques sur Facebook, au Cameroun, la loi sur le droit d’auteur en vigueur est celle du 19 décembre 2000, relative au droit d’auteur et aux droits voisins, au Gabon, il s’agit de la loi 1/87 du 29 juillet 1987 instituant la protection du droit d’auteur et des droits voisins en République Gabonaise, en Côte d’Ivoire, c’est la loi numéro 96—564 du 25 juillet 1996 relative à la protection des œuvres de l’esprit et aux droits des auteurs, des artistes-interprète et des producteurs de phonogrammes et vidéogrammes qui s’appliquent, et enfin au Sénégal, la loi numéro 2008-09 du 25 janvier 2008 sur le droit d’auteur est en vigueur. À l’examen de ces textes, seule la loi sénégalaise sur le droit d’auteur prévoit expressément les supports et exploitations numériques. Toutes les autres se trouveraient complètement obsolètes aujourd’hui si un juge devait être saisi d’un litige en matière de numérique.
En définitive, même si l’usage et la pratique commandent que le juge appréciera, en matière d’exploitation numérique, au vu du droit d’auteur classique, c’est-à-dire celui dont le contrat a été signé pour une œuvre sous format papier, si la tendance persiste et le phénomène perdure, il serait judicieux de combler rapidement ce vide juridique, pour encadrer les situations subséquentes à la naissance du romantisme 2.0 et de sa littérature instantanée.