Le directeur de la maison d’édition camerounaise Ifrikiya, Jean-Claude Awono, donne ses impressions à Afrolivresque au sortir de la 2ᵉ édition du Salon international du Livre de Yaoundé.
Afrolivresque: L’on a assisté pendant cinq jours à une vaste vitrine du livre au Musée national du Cameroun. Pensez-vous que d’ici à quelques années, cela sera encore possible avec l’avancée de plus en plus grandissante du numérique ?
M. Jean-Claude Awono: Oui, cela sera encore possible. Sur le plan mondial ou local, le livre en version papier ne disparaîtra jamais. Le livre sera toujours là, et cela y va d’ailleurs de l’intérêt du monde. Parce que le papier est un vaste patrimoine du monde, et le livre en papier a entretenu et maintenu le monde pendant des siècles et des siècles. Donc aujourd’hui, pensez qu’il va disparaître ? Je ne le pense pas du tout. Je vois plutôt dans le numérique une autre possibilité que le livre a d’exister. Je vois de la complémentarité et non une relation de disparition, car ce cas n’est pas possible.
L’espace numérique, c’est une passerelle, une voie salutaire. Il y a beaucoup d’avantages à s’investir dans le numérique. Ce qui signifie que le livre en version papier a toute sa fortune maintenant qu’il y a la dimension numérique, puisqu’elle lui donne une mobilité, une présence beaucoup plus grande encore à l’échelle mondiale. Le livre numérique est plus accessible que celui en version papier qui a besoin d’un voyage physique, tandis qu’en version numérique le voyage est presque annulé.
Mais maintenant, la question est de savoir si aujourd’hui, dans le contexte camerounais, nous arrivons à bénéficier du numérique ? Je pense que le statut du livre au Cameroun dans sa forme numérique est encore mitigé. D’abord parce que le numérique reste le lieu de la distraction, on parle de la « génération Android » aujourd’hui, mais beaucoup vont sur l’espace virtuel ou numérique pour se distraire, pour dialoguer, tchatcher, mais pas pour véritablement faire de la lecture. L’espace numérique est un espace assez complexe de communication et de relations avec d’autres personnes. Quand on y est, si l’on n’a pas la concentration que cela demande, on aura du mal à en tirer profit. De plus, nous naissons dans un contexte où l’énergie électrique reste relative. Quand vous allez dans les villages et même dans les villes, on n’a pas toujours l’énergie suffisante pour pouvoir bénéficier ou jouir de l’objet numérique aujourd’hui.
Afrolivresque: Quelles sont les difficultés auxquelles font face une maison d’édition au Cameroun ?
M. Jean-Claude Awono: Au Cameroun, on est confronté à diverses difficultés qui sont d’abord celles des ressources humaines. Parce que produire un livre, ce n’est pas comme faire cuire une omelette. Le livre demande un accompagnement, un encadrement technique, intellectuel et artistique. Cela nécessite une certaine formation, une certaine sensibilité, un certain amour pour ce domaine d’activité. Dans notre contexte, cela peut s’expliquer peut-être par le fait que les écoles de formations dans le domaine du livre ne sont pas légion. Le problème majeur reste donc celui des ressources humaines disponibles, rompues à la tâche et qualifiées pour pouvoir vraiment faire du livre un produit de qualité.
Au niveau des placements de produits, nous imprimons des livres. Malheureusement, le marché du livre sur place est extrêmement réduit, et placer des ouvrages devient une réelle difficulté. Il faut donc créer un marché du livre et cela ne peut exister que s’il y a des initiatives comme ce SILYA, c’est-à-dire tout ce qui a trait à la promotion du livre. Or, la promotion coûte extrêmement cher. Il faut donc travailler à trouver des moyens pour l’assurer, que l’éditeur bénéficie de supports et d’appuis institutionnels tels que les hommes d’affaires et autres. Enfin, le dernier aspect que nous pouvons citer, c’est l’encadrement de l’Etat. Dans d’autres pays, l’Etat dégage quand même suffisamment de moyens pour soutenir l’industrie du livre avec des subventions et d’autres formes d’appuis. Dans le cas du Cameroun, malgré l’existence de ce qu’on appelle le fonds d’affectation spécial qui devrait de mon point de vue apporter beaucoup au livre, cela ne me semble pas encore être le cas.
Afroivresque: Quels sont vos souhaits en tant que maison d’édition ?
M. Jean-Claude Awono: Notre souhait est que le marché du livre au Cameroun grandisse et que les auteurs camerounais qui prennent le risque de publier au Cameroun puissent de plus en plus bénéficier d’un accompagnement éditorial digne de ce nom.
Quel est votre bilan du SILYA 2016?
Jusqu’ici en termes de vente, c’est très relatif. Les ventes n’ont pas été spectaculaires du tout, par rapport à l’investissement que nous avons fait, notamment l’acquisition des stands, la communication, la mobilisation du personnel et plein d’autres choses. Donc quand je fais le rapport entre ce que nous avons investi et ce que nous avons écoulé ici, la balance est déficitaire. Mais on a connu quand même une grosse fréquentation ; il y a beaucoup de personnes qui sont venues et se sont arrêtées devant le stand. Elles ont plus fréquenté le stand qu’acheté des livres, mais c’est déjà quelque chose de gagné. Elles ont quand même découvert la maison. Ce qui, nous l’espérons, va permettre à Ifrikiya de connaître une plus grande audience en centaines d’auteurs à l’avenir. De manière générale, ce SILYA est un bon projet, qu’il faut encourager.