Le «Black History Month» : Un passé qui (p)répare l’avenir?

par Acèle Nadale
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« Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Que voulons-nous devenir ? » Ces questions de l’historien burkinabè, Joseph Ki-Zerbo, claquent dans mon esprit comme le bruit d’une porte de prison que l’on ferme devant moi. Et après… le silence. Un silence complet, digne d’un cimetière. On se retrouve seul, face à soi, obligé par la force du destin de faire face à ce que l’on fuit le plus souvent, mais qui reste la seule présence derrière les barreaux : soi-même.

Ces trois questions essentielles ont été au cœur de ma réflexion et de celle de mes collaborateurs lorsque nous avons pris la décision d’honorer, à notre manière, l’Histoire des Noirs, Africains et Afro-descendants partout dans le monde. Le mois de février a été un bon prétexte pour ce challenge, mois pendant lequel l’histoire des noirs très souvent occultée est mise en lumière dans des évènements, débats, films et reportages. Initié depuis 1970 aux États-Unis d’Amérique, cet évènement a été officiellement reconnu par le gouvernement américain depuis 1976. Le « Black History Month » est aussi célébré au Canada au mois de février et au Royaume-Uni en octobre.

Dr. Carter G. Woodson

Dr. Carter G. Woodson, fondateur de la « Negro History Week », évènement précurseur du « Black History Month »

Malgré la controverse qui sévit à travers le monde à propos de l’utilité de cette célébration, et vus les efforts déployés pour occulter et faire taire toute aspiration à des questionnements essentiels sur l’Histoire des Noirs racontée par ceux qui les ont opprimés des siècles durant, toute l’équipe d’Afrolivresque a estimé qu’il n’y aurait jamais assez d’occasions pour donner la parole aux témoins de l’Histoire et aux historiens.

Qui sommes-nous ?

Un mois n’est pas assez. L’on ne saurait résumer des millénaires d’Histoire en un mois. Il fallait donc faire un choix sur les sujets que nous allons aborder tout au long du mois de février. Parce que nous savons qu’aujourd’hui est le résultat d’hier et forge le lendemain, nous nous sommes laissés guider par cette voix intérieure qui résonne lorsque la porte de la prison claque. Et pour écouter cette voix, il faut d’abord se taire. Littéralement. Et quand elle nous parle, elle le fait par des voix et intonations étranges, inattendues. Tous les sens sont en éveil, on ne perçoit plus le réel de la même manière, on ne sait que c’est le message que quand il est livré, on le reçoit comme si on l’attendait. Les choses se mettent en place toutes seules. La page vierge se remplit toute seule comme par magie. Le choix des personnages et les sujets à traiter s’imposent d’eux-mêmes. Plus qu’un travail classique de préparation éditoriale, ce fût un voyage spirituel dans les contrées de notre identité la plus profonde : bouleversante, enrichissante et effrayante. Il n’y avait pas de bien ou de mal, pas de bons ou de méchants, juste ce qui est.

D’où venons-nous ?

Joseph Ki-Zerbo, l’un des plus grands historiens que l’Afrique ait connu, s’est imposé à nous de manière sournoise, je dois l’avouer. Nous avions beau l’éviter, mais il ne nous a pas lâchés. On le retrouvait partout ; dans des conversations mondaines, dans des séminaires, partout. Il tenait à ce que nous parlions du travail monumental qu’il a réalisé avec Cheikh Anta Diop et d’autres historiens africains et non africains, à travers les huit volumes de « L’histoire générale de l’Afrique ».

«Histoire générale de l’Afrique»

Les 8 volumes de la collection «Histoire générale de l’Afrique»

Un héritage inestimable laissé à l’Humanité, initié en 1964 et dont l’amélioration se poursuit encore aujourd’hui. Il a cessé ce harcèlement quand la décision a été prise d’en faire la personnalité du mois. Mais avant de nous laisser souffler, il n’a pas oublié de nous indiquer des indices pour d’autres sujets, les uns plus fascinants que les autres. Les voix intérieures nous ont envoyé à des endroits précis sur le continent, de l’Ethiopie en Afrique du Sud, en passant par le Burkina Faso et le Cameroun. Elles nous ont fait prendre les voies maritimes jusqu’aux Caraïbes avec un stop aux États-Unis.Tout au long de ces voyages livresques, nous nous sommes laissés guider, avec une seule question en tête : pourquoi ? Comme au tout début de cette aventure, la réponse s’est imposée d’elle-même par le biais des observations d’une petite fille de 11 ans dont nous tairons le nom ici : nous avons l’obligation de transmettre.

Que voulons-nous devenir ?

Ce n’est pas un hasard si le peuple noir, quelle que soit sa situation géographique, semble égaré, en manque de repères, en conflit avec lui-même et sans cesse en queue du train de l’Histoire contemporaine, pour la partie qui a pu sauter dans le train de justesse. L’autre partie est écrabouillée par ce même train de l’Humanité qu’elle a pourtant participé à construire depuis des millénaires. Dans ce train qui roule à grande vitesse, il y a une nouvelle génération, décomplexée, forte, décidée à dire et faire respecter sa position au concert des nations pour ce qu’elle est, à savoir complexe, riche, non sublimée, mais surtout authentique.

Le bruit de la porte de prison résonne encore dans ma tête. Et si c’était plutôt une porte qui se fermait derrière moi plutôt que devant ? Un son qui marque la sortie de prison ? À cette nouvelle génération, à nos enfants, à nos descendants, nous leur devons de faire notre part, de nous regarder dans un miroir sans aucune concession, de pleurer nos douleurs pour de vrai sans demander l’autorisation à qui que ce soit, de soigner nos blessures avec patience et sagesse, mais surtout, de relever la tête et de sourire de fierté, de puiser la force en nous, cette force que nous avons héritée de nos ancêtres qui n’ont jamais baissé les bras, qui ont laissé un héritage inestimable à l’humanité, qui ont combattu l’oppression au prix de leur sang, partout où cela était nécessaire. Nous serons demain ce que nous aurons décidé de faire de cet héritage. En chacun de nous, est semé cet héritage. Le respecter, c’est nous respecter les uns et les autres. Ainsi, notre héritage brillera à la puissance du soleil et réchauffera l’univers tout entier.

Pendant tout le mois de février sur Afrolivresque, nous allons partager avec vous une partie de l’Histoire de l’Afrique et des Caraïbes par des livres, des documentaires, des analyses et des interventions d’historiens. Certains sujets vous seront peut-être déjà familiers, d’autres pourraient vous donner envie d’en savoir un peu plus. Rejoignez-nous dans ce magnifique voyage du « Black History Month » et partageons ensemble cette mémoire de l’histoire.

« SI NOUS NOUS COUCHONS, NOUS SOMMES MORTS. »

Joseph Ki-Zerbo (21 juin 1922 – 4 décembre 2006)

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