« Quand j’étais petit, je lisais Akim, Zembla, Tex Willer ou Kouakou, c’est comme ça que j’ai commencé à aimer la lecture ! » Profond témoignage d’un adulte, aujourd’hui créatrice de la BD La vie d’Ebène Duta qui provoque en nous des spasmes de nostalgie, et nous pousse à une interrogation empreinte de culpabilité : où sont passés ces bons moments ? Pourquoi n’en faisons-nous pas profiter nos enfants ?
Ils sont rares et précieux, ces merveilleux moments de la vie où l’on ne voudrait être ailleurs pour rien au monde. Des moments fugaces, qu’on savoure en prenant son temps.
Le temps de lire une bande dessinée et de célébrer ce plaisir enfantin nous est permis. Alors, pourquoi s’en priver ?
La semaine qui commence sera un véritable événement BD au Cameroun. Du « venez-voir » comme on le dit au pays, au « Mboa » ! Venir à un festival, rencontrer des auteurs, dessinateurs, éditeurs ; participer aux dédicaces, projections, expositions, animations, tables rondes, shows, magazines, acheter un ou deux albums auxquels l’on n’a pas pu résister, et se promettre de venir le lendemain avec un ami…
Et si je vous disais que c’est possible ? Le MBOA BD Festival vous est servi pour sa 6e édition à Yaoundé et à Douala, avec plus d’énergie que jamais. Oui, Noël commence le 25 novembre en 2015, et c’est l’occasion rêvée pour faire vivre votre passion, ou la partager avec vos proches ! Si vous n’y connaissez pas grand-chose, vous avez pour une fois, de la veine : tous ces chefs-d’œuvre à découvrir !
Allons, je vous mets un peu l’eau à la bouche ?
- Des portraits, show painting et caricatures en live pour les visiteurs !
- Des projections de dessins animés de réalisateurs camerounais, ivoiriens ou algériens pour le jeune public !
- Une foire aux projets permettant aux porteurs de projets de venir échanger avec des ressources professionnelles de tous horizons rassemblées par la bande dessin !
- Des expositions thématiques et didactiques (en milieu scolaire) mettront en avant les différentes approches artistiques des meilleurs bédéistes du pays et des pays voisins ; 5000 visiteurs sont attendus !
- Des ateliers professionnels, où les opportunités d’emploi sont nombreuses, dans tous les métiers de la bande dessinée, du graphisme à l’animation !
Rien que ça ! Je continue ? Alors courez-y!
Parmi les pépites qui seront présentes et disponibles en dédicace cette année, une cinquantaine de titres dont Bitchakala, Bikangas, Ekiéé, et La vie d’Ebène Duta. Nous avons voulu en savoir plus sur l’une d’elles…
Ses albums sont signés Elyon’s. Elle y raconte un peu à la « sauce tout-le-monde », les tribulations d’une jeune noire dans un environnement européen. Joëlle Ebonguè, vous connaissez ? Cette jeune trentenaire camerounaise a bâti sa réputation à la force de son travail. Bédéiste, dessinatrice, graphiste, rédactrice en chef, scénariste, le premier volume de sa bande dessinée “La vie d’Ebène Duta“ (LVDD), est paru en 2014. Il rencontre un franc succès a été vendu à plus de 1000 exemplaires. Le second tome est sorti en 2015.
Afrolivresque s’est entretenu avec Joëlle Ebonguè, qui s’est livrée à un exercice d’une extrême richesse, nous transmettant sans fards, sa passion pour cet art.
- Joëlle Ebonguè, quel type de lectrice êtes-vous ?
En général, consommatrice compulsive quand je trouve des trucs qui me plaisent.
- Pourquoi Elyon’s ?
Elyon’s pour deux raisons… Je ne voulais pas être clairement identifiable. Noire, femme, vivant en Afrique Subsaharienne, cette identité que j’assume ne m’a malheureusement pas rendue service au début. J’étais vite recalée, ou alors au lieu de regarder le contenu de mon travail, on me listait directement les mille et deux raisons pour lesquelles il ne pouvait pas aboutir. Avec Elyon’s, vu qu’on ne savait pas à un moment qui était derrière, on s’intéressait au contenu et une fois conquis, on découvrait plus tard mon identité. La deuxième raison est spirituelle. Mon Nom « Joëlle Ebongue », signifie « Yahvé est Dieu, le Bâtisseur ». Je voulais un pseudo qui renvoie à une signification sur le même thème. « Elyon » est un mot hébreux qui signifie « le très Haut ». Elyon’s signifie pour moi « propriété du Très Haut » ; c’est ma profession de foi en quelque sorte. Je crois en un Dieu qui a un destin pour moi, et je suis le dieu de mes personnages avec un destin pour chacun, qu’ils croient ou pas en mon existence.
- Qui est Ebene Duta ? A quel public ses aventures se destinent-elles ?
Ebène Duta est une jeune fille qui vit loin de son pays d’origine. Elle est légalement à l’extérieur de son territoire, donc ce n’est pas un discours sur l’immigration ; je me suis inspirée pour Ebène, de toute cette diaspora qui vit à l’étranger légalement, mais qui vit des aventures anecdotiques très savoureuses.
- Quelle est la différence, l’évolution entre le personnage du tome 1 et celui du tome 2, tout en laissant la surprise au lecteur ?
Hum… pour faire court ? C’est une BD Humoristique pleine de quiproquos. Le tome 1 était une présentation de mon personnage et de son univers. Le tome 2 lance véritablement l’intrigue des (més)aventures d’ Ebène Duta.
- Ébène Duta a une vie sentimentale assez bouleversée comme toute jeune fille de son âge ; derrière une certaine légèreté de ton et de style, c’est une vraie question d’identité sociale qui est soulevée à travers ce personnage complexe… Avez-vous un message à faire passer à travers vos BD ?
Je voulais le style léger, et la BD humoristique et non réaliste, parce que la vie est un foyer de stress permanent… maintenant plus qu’avant… du moins à en croire les médias. Mais ce stress ne doit pas nous empêcher de vivre ! Mon personnage cumule galères sur galères. Parfois on croit qu’elle est arrivée au bout de ses déboires, mais un effet boule de neige amplifie tout et on semble ne pas en voir la fin… Mais à chaque page qu’on tourne, elle est toujours debout ; elle va râler, parfois déprimer, mais à chaque nouvelle page elle est debout. La vie est spécialiste en obstacles divers. Mais quelle que soit la hauteur de l’obstacle, ce ne sera jamais une impasse. Le message que je souhaite véhiculer au-delà de tout, c’est : « persévérer, parce que la vie ne fait pas de cadeaux » .
- Comment élaborez-vous vos planches ? Quelle est votre source d’inspiration ?
Je m’inspire de ma vie quotidienne et de mon environnement. De faits divers sur le net ou de discussions de comptoirs. Je suis une éponge, j’absorbe énormément de choses. Le monde est ma source d’inspiration. Je commence toujours par l’idée que je voudrais faire passer puis je l’élabore en gag. Le processus d’écriture est la partie la plus longue dans mon travail. Parce que même si le rire semble universel, ce qui me fait rire ne fait pas automatiquement rire l’autre.
- Vous pouvez être considérée comme l’une des pionnières de la bande dessinée camerounaise. Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées lorsqu’il a fallu imposer votre art ? Pensez-vous que l’univers de la bande dessinée soit bien accueilli en Afrique par les lecteurs et les acteurs de l’art et de la culture ?
Je suis flattée par votre compliment, mais il y a eu énormément de personnes avant moi… je peux être celle qui a commencé à financer son ouvrage de façon totalement inédite sur le continent (le crowdfunding)… mais ne peux accepter la casquette de pionnière… c’est parce que des personnes comme Joëlle Esso existaient (auteure de Petit joss et de la bande dessinée d’ Eto’o fils), que je me suis dit que si une femme m’a précédée alors je dois tenir bon. Le principal obstacle a été et sera toujours la mentalité des gens. Nous partons parfois malheureusement du principe que l’innovation dans un domaine ou un autre est vouée à l’échec. « Si tu essayes un truc nouveau ça va échouer », « qui va te suivre dans ton délire », « tu te crois chez les blancs ici ? », « qui lit même tes histoires là ? », « il fallait faire ça en Europe, tu sais que le noir n’aime pas lire »… autant de préjugés que nous développons nous même sur notre couleur. Il a fallu combattre ça et briser ce mur, pour commencer à dépasser les autres obstacles (besoin de financement, production, distribution, promotion et participations aux festivals etc.)
- En plein démarrage du Mboa BD Festival 2015, la 6ème édition de la grande fête de la bande dessinée camerounaise, quelles sont les activités prévues ?
Oulaaaaaaaa, des tas !!! Dédicaces, rencontres avec des auteurs de BD locaux et étrangers, COSPLAY !!! Concours divers, ateliers sur la manipulation de logiciels graphiques, interventions dans les milieux scolaires, show painting et projections de films d’animation ou de documentaires sur la Bande Dessinée en Afrique, TOUT un programme.
- Quelle place pouvons-nous dire qu’occupe la BD camerounaise sur l’échiquier continental ?
Je ne saurais dire quelle place elle occupe, mais je sais qu’elle se bat pour occuper une place de choix dans le développement personnel, culturel et intellectuel des populations des divers pays d’Afrique. C’est un outil tellement complet, pour instruire, détendre, former, bâtir. Le continent a besoin de plus d’auteurs de BD.
- Quelles perspectives envisagez-vous pour l’avenir de la BD en Afrique ?
Nous avons encore de la marge, mais je nous souhaite de saturer les bibliothèques urbaines et rurales. Je souhaite que les enfants rêvent de devenir auteurs de BD plus tard, comme ils rêvent de devenir médecin ou pilote. Je rêve que l’auteur de BD soit valorisé à la hauteur du travail colossal qu’il effectue à chaque fois qu’il produit un ouvrage. Je rêve de tellement de choses, et je sais que toutes ces choses sont réalisables… ça va juste demander beaucoup d’années et un travail Titanesque !
- Avez-vous des projets en cours ou à venir, BD ou autres ?
Alors dans l’immédiat, la sortie du tome 2 de la Vie d’ Ebène Duta ! C’est mon gros projet du moment. On ne dirait pas, mais vu que je le publie moi-même, sa promo me prendra facile 1 an. Rendez vous en 2017 pour le bilan ?
Merci encore pour cet entretien.
Un rendez-vous à ne pas manquer, la sortie de La Vie d’Ébène Duta (Tome 2) :
- Douala le 3 décembre 2015 à 17 heures à l’Institut Français du Cameroun
- Yaoundé le 8 décembre 2015, à 18 heures au Centre Culturel Camerounais