Le temps était tiède cette après-midi du 15 juillet 2015 lorsque la romancière franco-sénégalaise Fatou Diome fit son entrée dans le parc Oranienplatz de Berlin dans le cadre de sa conférence autour du thème : « La migration vers l’Europe est aussi une émancipation et une liberté ». C’est affublée de son sourire et l’humour qu’on lui connaît, que Fatou Diome arriva, parlant aux gens en français, wolof, en anglais, les embrassant, faisant des photos avec eux. L’on pouvait compter près de 200 personnes assises ou debout, concentrées à écouter le discours décomplexé de l’écrivaine. C’est que Fatou Diome a un charisme impressionnant. Par la vigueur de sa voix et la rapidité avec laquelle elle s’exprime, elle occupe l’espace, contraint son auditoire à l’écouter attentivement tant elle est éloquente.
Il est assez difficile de faire un compte-rendu fidèle de son propos, car elle livre beaucoup d’informations. Ce qu’il faut retenir c’est que son combat n’est pas simplement panafricaniste mais humaniste. Pour elle, le plus important est l’amour de l’autre, le respect de l’autre, la rencontre entre les peuples et les cultures. Elle dit avec fierté :
«construisons des routes, pas des murs. Même à Berlin, le mur est tombé. À bas les murs.» ou encore «faites des métisses, pas des kalachnikovs.»
Lorsqu’on lui demanda son avis sur l’esclavage, elle s’insurgea contre la perpétuelle victimisation des africains, arguant que si la connaissance de l’histoire était importante pour mieux avancer, il conviendrait d’abord de trouver une issue aux problèmes actuels du continent au lieu de s’alarmer, de chercher des coupables en permanence.
Ci-dessous, des morceaux choisis du propos de Fatou Diome :
– « L’immigration est un symptôme. […] Lorsque nous sommes malades, il nous faut des médicaments pour soigner la maladie, pas les symptômes. »
– « L’Europe a tendance à décider toute seule. Pourtant, le tango ne se danse pas seul, il faut un partenaire. L’Europe met la musique et danse toute seul. L’Afrique doit suivre. C’est un mauvais couple. »
– « Quand un partenariat n’est pas juste, ce n’est plus un partenariat, mais de l’assujettissement. »
– « Les lois européennes sont comme des pièges qui changent tout le temps de position.»
– « J’ai rencontré en Afrique des gens qui s’appellent Smith, Dietrich. J’aimerais qu’il y ait aussi des Diouf, des Sarr, des Ndiaye en Europe et que les blancs trouvent cela aussi normal que je trouve qu’un africain s’appelle Smith. »
– « Si vous vous appelez Angelina Jolie ou Brad Pitt et que vous voulez une maison sur les Champs-Élysées, c’est vite réglé, pourtant il est impossible pour ma sœur de venir me rendre visite pour les vacances. L’Europe n’a pas un problème avec les immigrés. L’Europe a un problème avec les immigrés pauvres. »
– « L’Europe est une princesse. Elle fait ce qu’elle veut. »
– « L’Europe aime l’aide humanitaire. Laissez-moi vous dire, au nom de la jeune génération, que nous avons marre de l’aide humanitaire. Payez-nous notre talent. Payez-nous nos matières premières. »
Ce fut un moment d’échange intense ponctué par quelques notes d’humour et… musicales. Eh oui ! Fatou Diome chante extraordinairement bien et parle couramment le francais, le malinké, le wolof, le peul, l’anglais. Elle apprend l’espagnol et l’allemand. Elle s’est refusée à donner des indices sur son prochain livre, mais a promis de revenir très prochainement à Berlin.