Le hasard de l’Histoire fait démarrer le destin du père de Kidi Bebey au milieu des années 30 au Cameroun. En quête de réponses aux questions qu’elle se pose sur l’histoire de sa famille, la fille du célèbre artiste compositeur camerounais Francis Bebey, revit, entre réalité et fiction, les parcours exceptionnels de certaines figures marquantes de l’histoire romancée de son père.
L’enfance de Francis se déroule à Akwa au Cameroun, village de pêcheurs au bord du fleuve Wouri. Nous sommes dans les années 30. Le cameroun est sous colonisation française avec son lot d’humiliations quotidiennes et d’injustices envers les populations locales. Francis grandit et suit les conseils de son brillant grand-frère et modèle Marcel. Il fréquente l’école française où il découvre sa passion pour la lecture et les mots. Ses très bons résultats scolaires lui permettent d’obtenir une bourse pour la France.
Francis quitte son pays, la tête pleine de rêves. Il fait partie des premières générations d’immigrés d’Afrique subsaharienne en France. Il pourra « devenir quelqu’un » comme le lui avait conseillé Marcel. Commence ainsi pour Francis une nouvelle vie, entre sa vie d’étudiant noir africain à Paris vers la fin des années 50 dans l’ambiance du Quartier latin, sa rencontre avec l’amour de sa vie et la nostalgie du pays qu’il a laissé derrière lui, le « Mboa ».
Francis ne prévoit pas s’éterniser en France de toute façon, car il veut rentrer, servir son pays. En attendant, il faut se former, être outillé. Les défis qui attendent les immigrés africains dans leurs pays respectifs sont immenses. Toute la famille compte sur eux et exige réussite. Il faut aussi préparer la relève de l’administration coloniale qui va bientôt plier bagage, car l’heure des indépendances a sonné. Ils doivent construire le pays. Il faut juste trouver le bon moment, le moment idéal pour rentrer.
En attendant, Francis devient journaliste de radio, puis fonctionnaire international à l’UNESCO. Avec son épouse Madé, ils doivent s’adapter à la vie française, s’intégrer et éduquer leurs enfants qu’ils adorent, tout en essayant de préserver les valeurs du pays.
Comment relever ce défi lorsqu’on est déchiré entre deux terres ? Étranger ici, et devenu au fil du temps, étranger là-bas aussi ? Prisonnier des attentes de là-bas et assoiffé des libertés d’ici ? Où pose-t-on définitivement ses valises ? Où est-on chez soi en fin de compte ? Quelle identité transmettre aux enfants ? Autant de questions auxquelles Francis essaye de trouver tant bien que mal des réponses.
Tout au long des 319 pages de son premier roman, Mon royaume pour une guitare (Michel Lafon, 18 août 2016), Kidi Bebey fait un bel hommage, non pas seulement à sa famille à travers l’histoire de Francis, personnage principal du récit qui fait figure de son père, mais aussi à tous ces oubliés de la résistance camerounaise face à la colonisation française et leurs complices locaux.
« Et me voici debout, sous les arbres, en train de chercher à éclairer in bout de ciel de feuillage, pour mettre des mots et des noms sur mes Jeanne d’Arc et mes Vercingétorix à moi. Vertigineuse impression de me réapproprier cette mémoire dont j’avais été expropriée petite, mes parents ayant cherché à me protéger d’une souffrance qu’ils ne voulaient pas me léguer en héritage. Ils y ont réussi. Mais il faut croire que j’ai à charge de me tenir ici, en sentinelle devant cet écran, et de noter que des êtres vinrent, qu’ils vinrent et que leur victoire passe par ces mots consignés bien des années plus tard, afin de faire mémoire.
Je comprendrai ainsi peut-être, regardant en arrière, pourquoi mon père a visé la lune avec le manche de sa guitare et comment mon oncle s’est perdu à vouloir sauver un pays malade des avatars de la colonisation. » (p.151).
Dès le début du roman, la romancière et journaliste fait ce choix sans ambiguïté, ne voulant pas écrire une biographie au sens classique du terme. Comme elle le dit, « Il pourrait y avoir bien des manières de raconter cette histoire. » Kidi Bebey a choisi la sienne. Elle navigue ainsi avec habileté entre le personnage de la narratrice dans le roman, et sa plume en tant qu’auteure, mélangeant des flashs de souvenirs réels avec des scènes réinventées à sa guise, mettant une distance, une certaine forme de pudeur, là où cela est necessaire, entre son histoire personnelle et le roman. Le lecteur peut ainsi en toute quiétude se plonger dans l’histoire sans avoir l’impression de violer l’intimité de cette famille.
Cette liberté, ici dans l’écriture, se reflète également chez Kidi la narratrice dans le roman, qui, déjà très jeune, est éprise de liberté et ne comprend parfois pas les exigences assez rigides de ses parents en matière d’éducation. L’écriture de Kidi Bebey est très poétique et imagée, réussissant avec subtilité et finesse à faire rire le lecteur, parfois même lorsqu’un passage est triste.
Mon royaume pour une guitare, l’un de nos coups de cœur de la rentrée littéraire en France, est un pont entre différentes époques, une main tendue avec pudeur et humanisme à ceux que l’Histoire du monde et la folie des Hommes, de part et d’autre de la rive, continuent aujourd’hui encore de séparer. C’est aussi l’histoire d’une famille guidée et nourrie par l’amour des siens. C’est enfin l’histoire d’un homme exceptionnel, Francis Bebey, dont la quête permanente était l’excellence.
Née à Paris, de parents camerounais, Kidi BEBEY est auteure et journaliste. Son parcours témoigne de son intérêt prononcé pour la musique, la danse, les destins de femmes, l’univers de l’enfance et de l’adolescence.
Fille de l’artiste compositeur Francis Bebey, elle a grandi dans un milieu familial multiculturel et baigné dans la musique. Son roman est inspiré de son histoire familiale.