Nous avons appris le décès du saxophoniste camerounais Emmanuel N’Djoké Dibango dit Manu Dibango, mardi 24 mars 2020, à 87 ans.
Bird call…
On n’entendra plus son grand rire, caractéristique plein de malice et de bienveillance, distillant de la bonne humeur à tout-monde. Sa voix au timbre marqué, si particulier, son humilité, coffre-fort de sa rigueur, nous manquent déjà. Venu au monde au début d’un siècle agité et symbolisé par la réinvention et la libéralisation des codes socioculturels homologués, il s’en va au début d’un siècle brutaliste où la condition humaine est viscéralement menacée et torturée. Son trépas n’est ni scandale ni cacophonies des voix d’ici et de là-bas. Il est profonde symphonie, Soul Makossa, dont les notes savamment choisies illumineront encore et encore nos soirs au village.
Nous continuerons d’écouter ses musiques, dansant, comme toujours, sur fond de son rythme fort et africainement stylisé. Afin que toutes ses portées s’inscrivent maintenant et à jamais dans l’univers. Infatigable serviteur de la vie. Baobab des cultures africaines dont chaque envolée musicale était vectrice d’espoir. Au cœur du dédale musical de notre âge qui, sans cesse, est caractérisé par une incroyable médiocrité qui nous étreint si maladroitement comme une éternelle malédiction qui génère une série d’artistes chiffons et bouffons qui s’extasient dans un folklore indescriptible et abrutissant.
L’universel citoyen culturel
Devant la mondialisation étranglée par les crises sanitaires et sécuritaires, le trépas de Manu Dibango laisse entendre les cris douloureux de l’Homme du monde. Prophète de l’espérance, sa balade en saxo a été de bout en bout le signe de sa permanente waka-marche vers une excellence musicale, désormais perpétuel festin pour les esprits et la vie. Sa musique, enfant des eaux sauvé par trois kilos de café et le jazz, s’origine dans sa quête quasi spirituelle d’excellence. Chez lui-tout comme chez ses pairs, entre autres, Francis Bebey, John Coltrane, Johnny Hallyday, Vincent Nguini, Richard Rey, Jimi Hendrix, Neil Peart, Manitas de Plata, Epeme Théodore (Zanzibar) — cette quête de l’excellence était la meilleure forme de la vie. Au demeurant, de cette quête, artistique, on peut dire qu’elle était le pendant séculier de son originalité musicale dans la mesure où elle alimentera les esprits et les trajectoires existentielles de plusieurs générations.
Manu Dibango a vécu sa vie comme une offrande aux mondes et à son pays, animé par l’espoir que tous les Hommes chanteront, un jour, une même chanson, sous la mesure de ses notes extatiques et féériques, pour célébrer la vie humaine plénière. Nous espérons que le Cameroun, son pays d’origine qui, trop rarement, célèbre ses légendes, saura nous surprendre en le célébrant comme il se doit.
Cet amour, contagieux, de la perfection musicale a conquis toutes les personnes qui ont côtoyé Manu Dibango. On voyait en lui l’ambassadeur de tout un continent. Génie dans son art, il rendait la vie intéressante et joyeuse à tous ceux qui le croisaient.
Manu Dibango est cet héritage auprès duquel, pendant plusieurs décennies, nous nous sommes souvent ressourcés de près ou de loin. Tout a été trop court, mais point de place à la tristesse. Car, sa musique continue de sonder nos cœurs et de scruter nos esprits !
Nous nous souviendrons éternellement de Manu Dibango, effigie du panthéon des immortels, comme l’étoile du matin et la lumière tamisée de la lune qui illumine nos grandes nuits :
A N’Djoké…
Muna mboa
Ongele biso!