Entretien avec l’écrivain gabonais Janis Otsiemi: « Je suis venu au polar par effraction »

par Acèle Nadale
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Entretien avec l'écrivain gabonais Janis Otsiemi

Vous êtes un passionné de polars ? Vous souhaitez vous plonger dans l’univers passionnant du roman policier et vous laisser entraîner par la quête haletante du tueur ? Vous ne cherchez pas votre prochaine lecture du côté des auteurs africains ? Eh bien, vous avez tort.

Parmi les précurseurs du genre, l’auteur malien avec son roman L’archer bassari (Grand prix littéraire d’Afrique Noire en 1985, Éditions Karthala 1984), ou le Malien Moussa Konaté qui nous entraine dans les enquêtes du commissaire Habib avec « Gorgui, L’assassin du Bankoni » (réédition chez Gallimard en 2002, Collection Série Noire (n° 2650), ou encore le sénégalais Abasse Ndione avec son roman à scandale « La vie en noir » (2004, Gallimard, Collection Série Noire).

Depuis le début des années quatre-vingt-dix, le polar africain gagne de plus en plus de lecteurs, tant en Afrique que hors du continent. Et oui ! Le crime n’a pas de frontière.

La relève dans le polar africain est assurée par des auteurs qui se font remarquer par la richesse et la qualité de leurs écrits tels que Janis Otsiemi, écrivain et essayiste gabonais.

Janis Otsiemi est né 1976 à Franceville au Gabon et a grandi dans le quartier populaire Matitis, appelé communément les USA d’Akébé. Son premier roman La vie est un sale boulot, est publié en 2009 par la maison d’édition marseillaise Jigal. Il rencontre un énorme succès tant national qu’international et gagne le Prix du roman gabonais 2010. Quatre romans policiers ont suivi depuis lors : La bouche qui mange ne parle pas (2010), Le Chasseur de lucioles (2012), Africain Tabloïd (2013) et son tout dernier sorti cette année, Les voleurs de sexe  tous édités chez Jigal.

Janis Otsiemi fait partie des africains qui, malgré les difficultés rencontrées sur place, ont décidé de ne pas immigrer et de rester sur le continent. Il vit actuellement à Libreville au Gabon, où il est Secrétaire Général Adjoint de l’Union des Écrivains Gabonais (UDEG).
Afrolivresque est allé à la rencontre de Janis Otsiemi. Il nous a parlé de son parcours, de sa vision du monde et de ses projets futurs.

Janis Otsiemi, pourquoi avoir choisi le roman policier comme genre littéraire de prédilection ?

Je suis venu au polar par effraction, car le premier roman que j’ai publié (Tous les chemins mènent à l’Autre) n’en était pas un. Lorsque je l’ai fait lire à mes copains avec lesquels j’ai grandi dans les « États-Unis d’Akébé », le plus gros bidonville de Libreville, ils ne s’y sont pas reconnus. Alors, ils m’ont demandé d’écrire des romans qui puissent parler de leur quotidien. Et c’est ainsi que le polar s’est imposé à moi comme genre pour explorer le monde interlope librevillois.

Comment construisez-vous les intrigues et l’enquête ? Faites-vous des recherches au préalable autour de vous ?

Pour mes intrigues, je m’inspire beaucoup de l’actualité, des faits-divers dans la presse librevilloise. Depuis la publication de mon premier polar « Peau de balle » aux Editions du Polar en 2007, j’utilise des personnages qui sont devenus récurrents dans mes cinq derniers romans publiés aux Editions Jigal. Il s’agit des policiers Koumba et Owoula, les gendarmes Boukinda et Envame. Pour l’écriture de « La vie est un sale boulot » et de « La bouche qui mange ne parle pas », j’ai établi un plan d’écriture. Avec les derniers « Les Chasseurs de luciole », « African Tabloid » ou « Les voleurs de sexe », je me suis laissé aller au rythme de mon imagination.

Vos romans dénoncent très souvent de manière subtile le pouvoir destructeur qu’exerce une certaine oligarchie gabonaise sur les populations. Quel a été pour vous le roman qui vous a le plus mis en danger et pourquoi ?

Je n’ai jamais eu des problèmes avec les autorités gabonaises à cause de mes polars. J’utilise mes polars comme des prétextes pour faire avouer à la société dans laquelle je vis, ses propres tares. Le Gabon est sans nul le pays où la Françafrique s’est enracinée à travers la figure totémique d’Omar Bongo qui a été au pouvoir de 1968 à 2009. Le Gabon est un pays malade de ses élites. Car depuis plus une trentaine d’années, la classe politique ne s’est pas renouvelée. Ceux qui s’opposent aujourd’hui au président Ali Bongo, élu président de la République en 2009 sont pour la plupart issu du Parti Démocratique Gabonais (PDG) créé en 1968 par le défunt président Omar Bongo. Et j’ai bien peur que la prochaine élection présidentielle prévue en 2016 ne soit qu’un remake de celle qui s’est déroulée en aout 2009, car elle n’a pas permis de solder l’héritage d’Omar Bongo.

Au vu des difficultés du quotidien que vous décrivez très souvent dans vos prises de parole publiques, pourquoi avoir fait le choix de rester vivre au Gabon ?

J’ai fait le choix de vivre au Gabon parce que j’y suis né. J’y ai ma famille et j’y travaille. Ma place n’est nullement ailleurs. Je ne me vois pas vivre ailleurs. Si je veux que les choses changent dans mon pays, je dois participer au débat en tant que citoyen et écrivain. Au-delà du tableau sombre que je dresse dans mon pays, il y a un espoir que le Gabon devienne un jour un pays démocratique où les élections sont organisées dans une totale transparence, où les richesses soient équitables, partagées.

Et si on parlait de la littérature gabonaise en général, comment se porte-t-elle et quelle est sa place dans l’industrie africaine du livre aujourd’hui ?

La littérature gabonaise est une jeune littérature qui essaie d’occuper la place qui est la sienne. Elle n’est pas assez connue, mais elle regorge de beaucoup de vitalité avec des auteurs tels que Jean Divassa Nyama, Eric Joël Bekalé, Bessora et bien d’autres dans de divers genres tels que la poésie, le roman et le théâtre. La plupart d’entre eux publient en France parce qu’il n’existe pas beaucoup de maisons d’éditions à compte d’éditeur et on compte une ou deux librairies. Mais il existe un bel et bien un lectorat. D’ailleurs, mes polars trouvent ici un accueil chaleureux.

Selon vous, quelles actions devraient mener les différents acteurs du livre en Afrique afin de susciter plus d’intérêt au sein du lectorat africain ?

Ce qui manque en Afrique, c’est une véritable industrie du livre, car la littérature est encore considérée comme un produit culturel et non comme un bien économique. Il n’existe pas assez d’éditeurs, quand il en existe, ce sont souvent des éditeurs à compte d’auteurs. Car produire un livre en Afrique coute cher. Pourtant, il existe un lectorat, mais un lectorat qui n’a pas un pouvoir d’achat.

Avez-vous de nouvelles enquêtes qui attendent déjà d’être publiées ? Quels sont vos projets d’avenir ?

J’ai pas mal de projets d’écriture en ce moment. Je travaille sur un polar sur fond d’attentats perpétrés par Boko Haram sur le sol gabonais… Je n’en dirais pas plus. Je publierai au début de l’année prochaine un essai politique sur la prochaine présidentielle au Gabon, car outre les polars, je publie aussi des essais politiques.

Bissap, tisane ou café ?

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