Florence Tsagué est née au Cameroun. Après les études de littérature, de linguistique appliquée et des sciences politiques, elle est actuellement chargée d’enseignement à l’Université de Wuppertal en Allemagne. Passionnée de littérature, elle publie son premier roman Femmes Connues, Coépouses Inconnues aux Éditions Edilivre en 2009, un roman qui met sur le tapis l’épineuse question de la polygamie dans un monde en pleine mutation. Elle revient cette fois-ci dans le monde littéraire avec le livre La Porte de Minuit, paru en novembre 2016 aux Éditions l’Harmattan, collection « Encres Noires ».
Ce livre est-il inspiré d’histoires vraies ?
Il y a dans ce livre un mélange de la réalité et de la fiction. Les réalités et les démons qui hantent notre société. Les thèmes tels que la vie des couples, le poids du secret, les « deuxièmes bureaux » (concubines), les accidents routiers et la situation calamiteuse des hôpitaux sont traités dans la nouvelle Le Revenant.
La gestion de la chose publique, la méritocratie, l’éthique et la culture politique occupent une place de choix dans la dernière nouvelle, Un Cadavre pour le Remaniement Ministériel. À ceci s’ajoutent les histoires racontées par les adultes pendant l’enfance, à côté du feu, lesquelles nourrissaient notre imagination. Elles constituent la toile de fond des nouvelles La Porte de Minuit et Le Marigot aux Raphias Dansants. Les monstres et fées qui peuplaient ces mythes ne quittaient pas souvent notre imagination quand nous nous retrouvions seuls au milieu de la nuit. Dans La Porte de Minuit, ils vont prendre corps.
La fiction a besoin d’un fil conducteur chargé d’imagination pour réunir les bribes et les pièces du puzzle. La dernière nouvelle Un Cadavre Pour le Remaniement Ministériel est le miroir de la culture politique dans mon pays le Cameroun. Une culture politique marquée parfois par une quête exacerbée de la reconnaissance et des privilèges, par la folie de la promotion et des nominations, la pression d' »être en haut » à tout prix. Face à la méritocratie qui bat de l’aile, d’aucuns donnent libre cours au mysticisme dans la quête du pouvoir et aux pratiques qui sont sujettes à caution.
Pourquoi avez-vous choisi de rester dans l’univers africain dans cette œuvre ?
Je n’ai pas choisi de rester dans cet univers. Il s’est imposé ainsi. Les quatre nouvelles du recueil ont un fil conducteur : Les démons de la nuit. Minuit, c’est l’heure qui nous faisait trop peur pendant l’enfance. Ici, toutes les histoires forment une unité dans l’univers africain.
Dans la première nouvelle, La porte de minuit qui donne son titre au livre, vous nous parlez de la mort de Céline, la peur que son âme passe vous dire aurevoir, etc., qu’est-ce qui fait qu’à cet âge-là, une si jeune fille se met à croire à ce genre de choses ?
Précisons une chose : il ne s’agit pas de mon histoire. Dans cette histoire fictive, le personnage principal est en même temps la narratrice. On pourrait penser qu’elle est trop jeune pour raconter elle-même son histoire. Non ! Dans son univers, elle est assez mature pour décrire ce qui se passe autour d’elle et dans son monde intérieur. Quand on grandit au village qui est l’un des socles importants de la culture, on baigne très tôt dans l’univers mythologique. Le sens de la communauté étant très poussé, on assiste à des cérémonies et rites traditionnels, à des deuils, enterrements et funérailles. Bref, des moments de joie et des moments de peine partagés. Que l’âme du défunt fasse une tournée d’adieux, les adultes avaient coutume, pendant notre enfance, de relater de telles histoires et bien d’autres portant sur la création, l’existence, la mort et la vie post-mortem. C’est des fragments de ces histoires que j’ai voulu recomposer à travers des personnages et un univers fictifs, tout en questionnant leur impact sur les questions actuelles de notre société.
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire ce livre ?
Il s’est avéré nécessaire pour moi de trouver un univers pour faire vivre et partager les histoires qui ont forgé notre imagination et parfois hanté nos nuits pendant la tendre enfance, tout en faisant ressortir le côté obscure de l’homme et de la société. C’est une façon de se réconcilier avec le monde invisible et d’exorciser ses démons ainsi que les démons intérieurs de l’homme. Une sorte de thérapie.
Qui est réellement Florence Tsagué ?
Hmmm (Sourire). Difficile de parler de soi. Je suis une passionnée de la culture, de la lecture, de l’écriture, de la musique, de la photographie. J’aime ce que je fais.
Qu’est-ce qui vous inspire le plus, quand vous écrivez, et pourquoi ?
Dans le processus de l’écriture, je navigue entre la réalité et l’imagination, entre les mondes. Je pense que pour les œuvres fictives, il est difficile de considérer seulement un seul volet. Chez moi, il y a une certaine fluidité entre la réalité et la fiction, le naturel et le surnaturel. Nous sommes le produit de notre société et de notre temps, ce qui influence notre perception et notre imagination et nous contraint en même temps d’agir à travers notre plume. L’écriture en soi est un acte d’engagement pour une meilleure société.
Qu’aimez-vous partager avec vos lecteurs ?
J’aime partager cette voix, cette mélodie qui fait défiler les images pour produire une certaine réalité dans la fiction. Entre le narrateur et le lecteur s’installe au fil des pages une relation de confiance et de confidence. Quand le lecteur lit le livre, il chemine non seulement avec les personnages, mais aussi avec l’auteur qui reste d’une façon ou d’une autre présent.
Serait-il possible de nous parler de l’un de vos plus beaux moments de culture ?
Lors de mon récent séjour au Cameroun, j’ai eu l’occasion de participer aux cérémonies telle le NSIH (la cérémonie des jumeaux). Cela faisait presque deux décennies que je n’avais plus eu l’occasion de prendre part à de telles activités traditionnelles. Même si le NSIH (avec tout ce qu’il comporte comme rites, danse, sacrifices…) est dédié aux jumeaux (Pomefack) et aux parents (Mégni, Tégni), il regorge un caractère très communautaire. C’était comme si je renouais à nouveau avec mon enfance.
Chacun de nous a une définition qui lui est propre de la culture. Et vous, comment la définissez-vous ?
La culture, c’est quelque chose de vital qui nous donne des repères, nous lie avec les autres, avec le passé, nous façonne de façon implicite et explicite. C’est ce qu’on hérite souvent, (re)crée, forge, fait vivre et lègue si possible à la postérité.
BONNE ANNÉE 2017 !
À tout le monde, je souhaite une excellente année 2017 !
Propos recueillis par Michel Tagne Foko,
Chroniqueur, écrivain, éditeur. Membre de la société des auteurs du Poitou-Charentes.
Extrait de la nouvelle La porte de minuit
Au Milieu de la nuit, la porte pleurait, pleurait, pleurait. Dans notre cuisine, une scène affreuse se jouait autour de moi. Secouée par la foudre, la pièce tressaillait. Les assiettes et les marmites virevoltaient dans l’air, se télescopaient et tout le mouvement produisait un vacarme intenable. Abasourdie, j’esquivai les objets qui valsaient pendant que je tentais de regagner la chambre. Une boule incandescente pénétra en trombe la cuisine, tourbillonna et illumina complètement la pièce… ;