Pourquoi ai-je choisi de lire Kinlam et les animaux de la forêt ? Pour les mêmes raisons que l’auteure. En effet, la volonté d’offrir aux enfants africains, noirs ou métissés, autre chose que les fables et récits occidentaux déjà connus et vulgarisés tels que Blanche neige, Pinocchio, Cendrillon nous amène parfois à rechercher avidement cette autre chose à offrir. Ces classiques de la littérature jeunesse sont en effet contés de manière régulière à nos enfants dans le but de leur donner le goût de la lecture. Mais s’arrêter à ceux-là ne limite-t-il pas le champ d’exploration de ces enfants qui ont soif de connaissance ? L’autre problème soulevé par ces classiques est qu’ils ne racontent pas les histoires comme on le fait en Afrique, ils ne s’arriment pas à la culture africaine et ne tirent pas leur source du vécu africain.
En choisissant donc Kinlam et les animaux de la forêt, je me suis posé une seule question, celle de savoir si mes enfants aimeront ce livre : est-ce que, comme les enfants de l’auteure Arlette Ngo Badjeck, Hugo et Noam, mes enfants voudront bien partager cette histoire avec leurs amis ? Il faut dire que l’histoire de l’écriture de ce conte africain est une aventure familiale dans laquelle la mère et scribe, Arlette, le père et illustrateur, Serge, et Hugo et Noam, les fils, se sont amusés à nous raconter l’histoire de la petite Kinlam. Kinlam et les animaux de la forêt est le tome I d’une tétralogie. Je me mets donc à la lecture de ce roman tout en espérant avoir gardé mon âme d’enfant pour vraiment l’apprécier, le commenter et le critiquer.
« Il était une fois dans une forêt… forêt équatoriale, une de ses forêts que l’on trouve en Afrique »… C’est ainsi que pourrait commencer l’histoire de Kinlam, principale héroïne de cette histoire, jeune fille de huit ans, brave, courageuse, tendre, aimante, déterminée, respectueuse, entêtée, ayant des rêves plein la tête et voulant comprendre le monde qui l’entoure. Un jour, sur le chemin de l’école, elle se perd dans la forêt. Bravant sa peur, elle décide de retrouver son domicile et se met à arpenter les différents chemins de la forêt. Tout au long de son aventure dans la forêt, elle rencontre plusieurs animaux qui lui tiennent compagnie, lui donnent à manger, l’aident à retrouver sa maison et lui prodiguent de précieux conseils. Le singe, le lièvre, la gazelle, les tortues, les girafes, le crocodile, les éléphants, le lion, etc.… se présentent ainsi comme étant de bons amis et de bons conseillers lorsque tu ne leur montres pas ta peur. Comme le dit le crocodile,
« Tu sais, les rois de la forêt sont un tout petit peu comme moi. Ils seront un peu rustres lorsque tu vas les rencontrer pour la première fois mais, si comme avec moi tu ne te montres pas menaçante, tu restes honnête et calme, ils t’aideront à sortir de la forêt et à retrouver tes parents. ».
En parcourant la savane et la jungle, en traversant la rivière, Kinlam se fait de nouveaux amis et est adoptée par une nouvelle famille au sein de laquelle elle passera la nuit. Cette jeune fille triste et égarée est accueillie avec hospitalité par les autres habitants de la forêt, car malgré sa peur, sa tristesse et sa fatigue, elle reste une enfant polie, ouverte et gentille. Kinlam partage donc avec ces nouveaux amis un secret qu’elle ne devra pas dévoiler aux humains. Les humains ont autant peur des animaux sauvages que ces animaux, des êtres humains :
« Les êtres humains ne nous aiment pas beaucoup, fillette. S’ils se rendent compte que la forêt à l’orée de leur village est pleine d’animaux sauvages, ils viendront nous exterminer ».
Émerveillée par la présence d’autres êtres vivants dans cet environnement et par leur capacité de vie en communauté et d’entraide, la petite fille n’a pas peur du danger et oublie parfois que ses parents, Nlom le père et Kinnol la mère, et tous les villageois sont à sa recherche car inquiets pour elle.
L’auteure, tout au long de cette aventure linéaire, nous montre, une jeune Kinlam brave et intelligente. À l’intérieur de ce roman jeunesse illustré de temps en temps, le langage familier utilisé est un langage qui sied à tout enfant de cet âge. Toutefois, les phrases parfois très longues rendent difficile la compréhension de certains paragraphes. Heureusement que des phrases simples sont le plus souvent usitées pour décrire toutes les émotions que traversent Kinlam et tous les autres protagonistes tout le long de l’histoire. Il faut dire que la présentation d’une jeune fille impétueuse comme protagoniste peut nous permettre de jeter un nouveau regard sur ces héros qui sont de plus en plus des héroïnes qui ne sont pas forcément à la recherche du prince charmant, mais surtout émerveillées par le monde qui les entoure.
Au début, j’ai eu de la peine à lire ce livre. Peut-être à cause des préconçus intégrés sur la littérature jeunesse classique, ce livre ne m’a pas complètement enchantée. J’ai voulu le lire, comprendre chaque ligne et visualiser la scène de manière instantanée, c’était peine perdue. J’ai décidé de changer de méthode de lecture et de lire le texte à voix haute comme si je contais l’histoire à un enfant. Et là, c’était parti pour une heure de lecture non-stop. J’étais dans la peau de Kinlam, vivant son épopée avec elle, la suivant tout au long de son aventure. J’ai compris que c’était cela la volonté de l’auteure, que l’on puisse tout simplement conter l’histoire aux enfants.
À travers les différentes répétitions effectuées « elle marche, elle marche, elle marche en chantonnant », les emphases émises et les différentes onomatopées utilisées, la narratrice a voulu créer l’atmosphère des « soirs au village » où grand-père avait toujours une histoire extraordinaire à raconter. Les différents conseils donnés à la jeune fille, tout au long, comme « n’oublie pas ce que je t’ai dit. Ne te laisse pas aller à la peur, car elle attire et matérialise ce que tu veux éviter. S’ils (animaux) sentent ta crainte, ils se considéreront supérieurs à toi et voudront dès lors te soumettre à eux et te manger. », confirment cette vision de l’écriture de ce roman telle une histoire contée. Si cela est donc la finalité de l’auteure, quelle peut être la tranche d’âge de jeunes enfants qui devrait s’intéresser au roman ? Est-ce que les enfants qui lisent tout seuls ne devraient pas être intéressés par cette aventure ? Si la réponse est oui, alors nous pouvons effectuer plusieurs critiques à l’encontre du roman rendant sa lecture difficile. L’utilisation de longues phrases complexes empêche la visualisation des scènes. Par exemple, lorsque Kinlam se perd, elle déclare :
« si je vais à gauche, c’est la forêt. Si je vais à droite, je ne sais pas où je vais me retrouver. Si j’avance, je risque de me perdre encore plus et je ne peux pas reculer, parce que je ne reconnais pas le chemin ! »
Dans cette phrase, le lecteur n’arrive pas à visualiser la scène et à cet âge-là, il est important pour l’enfant de visualiser les scènes. C’est à cela que servent les illustrations. Mais, il faut dire que même à ce niveau, il n’y a pas de cohérence entre les illustrations et les paragraphes placés au-dessus ou en dessous. Le singe, par exemple, dans le texte, lance le pain de singe à Kinlam mais dans l’illustration, c’est Kinlam qui offre à manger au singe. Nous avons remarqué aussi quelques coquilles et fautes d’orthographe. Ce qui n’est pas idéal pour l’apprentissage de l’écriture des mots en français chez les 09 à 14 ans.
Toutes ces critiques n’entachent en rien la grandeur de l’idée, mais pourront servir de base pour l’écriture des deux autres tomes de la tétralogie familiale. Il faut dire que les origines africaines de l’auteure sont perceptibles à travers cette œuvre. Le mélange des deux styles, contes africains et fables occidentales, enrichit la vision de l’auteure qui a voulu préserver sa culture africaine – forêt, huttes, cases, festivités au village tout en incluant un peu d’occidentalisme, école – récréation, etc.
La présence d’une héroïne, qui n’est pas forcément une jeune fille à marier, à la quête d’un prince charmant, permet de jeter un nouveau regard sur la jeune fille africaine qui peut être tout aussi courageuse et brave qu’aimante et tendre. L’intérêt de ce livre est donc qu’il nous fait sortir des clichés de la jeune fille à la recherche d’un prétendant et du quotidien des histoires occidentales qui sont contées à nos enfants à longueur de journée tant par les livres qu’à travers nos écrans. De ce fait, au lieu de Cendrillon ou de Raiponce, on pourra dire ou ajouter à la liste Kinlam.
Ce conte africain a le mérite de nous rappeler les moments de festivités au village, lorsque grand-père entouré de tous ses petits-enfants se décidait à nous raconter une histoire dans laquelle magie et réalité s’entrechoquaient. Ces soirs au village, qui est une essence des communautés africaines, créaient et inventaient ses héros en racontant aux jeunes générations leurs épopées. L’auteure a eu le mérite de créer une héroïne, de lui donner les caractéristiques d’une sage jeune fille, d’où l’inutilité de créer plusieurs fins (retour dans la forêt).
Ce livre conté oralement est magnifique à la lecture et peut tenir en haleine les enfants. Il est donc recommandé à tous les parents qui voudraient montrer à leurs enfants autre chose que les classiques occidentaux de la littérature jeunesse et aussi aux parents issus d’un métissage culturel qui voudraient bien faire connaître à leurs enfants cette Afrique noire un peu lointaine.
Les jeunes lecteurs peuvent aussi s’y intéresser, car l’intrigue est bien ficelée et tenue du début à la fin. Les illustrations pourront mieux être représentatives de l’histoire afin d’attirer les jeunes lecteurs et de leur donner l’envie de terminer la lecture. Ce roman est recommandé à tout le monde passionné de lecture ; nouveaux lecteurs, jeunes lecteurs et des parents qui veulent cultiver chez leurs enfants le goût de la lecture. Ce livre peut ainsi aussi être utilisé lors des lectures publiques chez les enfants et pour des représentations théâtrales.