Si la description de la beauté des rencontres et des aventures se constitue de stupéfaction, d’émerveillement, d’une courte sidération, c’est cette sensation qui naît alors au fil des mots et des pages de ce recueil. On y apprend l’essentiel, l’immuable, du culte de la dilection-amour pur et spirituel — du poète et fondateur du festival FESTAE Raoul Djimeli — pour sa « terre originelle » (Baleveng) ; sa « terre patrie » (Cameroun) ; ses pairs d’aujourd’hui, mais surtout d’hier (Mâ Njò).
C’est, autrement dit, la volonté d’un « enfant des pays » d’immortaliser chaque instant « rouge de la nuit », dont il tente, son acte d’écriture poétique aidant, de s’emparer. Un temps qu’il voudrait prendre au piège, contraindre à l’immobilité, éloigner de la monotonie. Et ce, pour mieux contempler «le soleil de Baleveng (…) derrière les Bamboutos »/ « L’Adamaoua [qui] se dresse haut »/ [cette] ville et le village [qui] s’embrassent».
Le front brûlant de l’aube de Raoul Djimeli s’inscrit d’emblée dans la poésie libre, suivant la mesure de la tonique de l’haïku en épousant sa forme dite sabi. Celle de laquelle se dégage l’ambiance de la solitude, matérialisée ici par le rendu d’une écriture photographique du souvenir. Un procédé visant ainsi à sauver quelque chose du temps où le poète a vécu et ne vivra peut-être plus jamais. C’est là, une ruse stylistique pour ancrer sa poésie dans la réalité, pour prouver que sa mise en relation avec les Mondes qu’il dépeint est réelle. Des descriptions métaphoriques et allégoriques pour montrer qu’avec l’écriture on n’oublie pas. On conserve des traces afin de se dire avec lucidité que ce qu’on a rencontré, touché, vu et vécu a réellement existé. Les impressions exclamatives qui sont partout dans le texte assurent une intention lyrique plus appuyée, mais surtout créent un rebondissement incessant entre le texte de la page précédente et celui de la page suivante.
Initiation à la rencontre et à la découverte des Mondes
Cette œuvre de Raoul Djimeli, sur les bords, comme un long poème séquencé par les différentes trajectoires (voyages, rencontres, aventures et tutti quanti) du poète, et dont la circularité traduit l’amour d’une vie de bohème, est un vaste mouvement. Le poète veut, à travers ce vaste mouvement donc, fixer, dans son insoutenable amour pur et spirituel, l’unicité des Mondes que les hommes devraient s’exercer à découvrir, admirer, comprendre et protéger. Sans plus songer à les dominer. Ce fait littéraire se pose, dès lors, comme une initiation à la rencontre et à la découverte des Mondes qu’on ne peut définitivement saisir et connaître essentiellement que par cette façon d’y vivre en acceptant de découvrir toutes les subjectivités ordinaires qui les font et les défont. C’est ce qui donne à cet opuscule une charge méditative, un style et un regard qui tirent leur source dans la toute-puissance mystique de la sensation et des émotions.
On est au cœur du pouvoir de la résonance des battements du « jour qui naît ». La saisie des différents instants d’un « monde qui court dans l’abîme ». Le désir d’un hôte de passage (R.Djimeli), dont l’insatiable jouissance est de dévoiler et de mettre en écrit sa faculté de saisissement. Son goût du concis, de la transmigration et des purs fragments vitaux qui jalonnent l’existence humaine.
En somme, Le front brûlant de l’aube n’est pas un écrit nostalgique ni larmoyant, mais poétique à fleur de mots. Raoul Djimeli n’explique rien, ne démontre rien, ne quête même pas forcément le beau. Il s’attache à l’expression d’une ambition, certes non-métaphysique, sans sujet à Dieu, mais fortement philosophique. C’est là le simili scriptural qu’il s’approprie pour tenter, à partir de son écrit poétique, d’apprivoiser l’expérience des Mondes dans ce que ceux-ci possèdent de plus immédiat, de plus spontané, de plus vif et de plus brut. Sans reculer d’effroi.