Si l’Empire Ntu ne vous évoque pas grand-chose, c’est normal. Bien qu’étant un empire fictif, il n’a rien à envier aux grands empires que ce monde a vus naître et mourir. M’buze Noogwani Ataye Mieko Momi, auteur africain originaire du Congo RDC, dans un souci de réactiver l’imaginaire Africain, nous livre Les chroniques de l’Empire Ntu.
Dans cette trilogie épique et fantastique, Momi M’buze retrace l’histoire d’un empire imaginaire du 16ᵉ siècle, son paradigme, ses croyances, ses doutes, ses défis et les convoitises qu’il suscite. Suite à la mort de son père, a décidé de s’enraciner davantage dans la culture et la tradition bantu. Ce tome I est son deuxième livre, il compte 216 pages et il est édité par Book on Demand.
Les arbres les plus hauts sont ceux qui ont les racines les plus profondes! Share on XLorsqu’on arrive par la forêt sacrée de Zandé dans la capitale de l’empire Azandé, on ne peut que se soumettre à la puissance écrasante des palais de la cité impériale qui surplombent la ville. Debout, fiers, imposants, sereins, ceinturés d’un mur d’enceinte rouge pourpre en bloc de pierres taillées de trois fois la hauteur d’un homme adulte. Les bannières pourpres accompagnaient volontairement le vent. Et ce vent… Il dégage la même chaleur que les flammes qu’Ayano le Dieu léopard pourpre souffla pour animer le corps inerte du premier Ntu, une femme. Ce vent vient nous chuchoter les récits des temps anciens, depuis le temps du prophète Egbele jusqu’à Folle qui demanda la mention de son nom dans les récits glorieux. Il y a dans ce vent une odeur de sang et de fer rouillé. Elle est venue nous rappeler que cet empire a réussi à unifier quatre grandes nations par la fureur de combats pour faire émerger une histoire commune.
Mais aujourd’hui ce vent nous rapporte des murmures à peine audibles. On conspire. Les quatre fils des gouverneurs des quatre nations, l’esprit empoisonné par des agitateurs extérieurs, veulent le pouvoir et tout de suite. Ils prétextent une gestion opaque des affaires et prétendent réinstaurer la grandeur de l’empire. Pour atteindre leur but, ils sont prêts à mettre le feu à l’empire.
« Les changements que voulurent apporter les Jeunes Léopards connurent leurs premières perversions (…) L’idéalisme venait de mourir au profit de l’affairisme et du clientélisme tribal et familial le plus exacerbé » (p. 103).
Comme les situations d’exception demandent l’émergence d’êtres exceptionnels, le salut de l’empire reposera désormais sur les épaules de la guerrière Nehesha. Elle est la fille du gouverneur de la nation guerrière Nkoza. Son frère Menga est l’un des conspirateurs. Nehesha est toujours en formation dans l’élite militaire féminine de l’empire. Elle n’est pas encore prête. Leur mère vient d’être poignardée par son frère Menga. Elle n’a pas le temps de pleurer. Il faut partir. Il faut vite rejoindre l’empereur Sawati III dans sa forteresse à Katombe-Monge pour organiser la résistance. Commence pour elle un périple initiatique pendant lequel elle va devoir finir elle-même sa formation en relevant de nombreux défis pour devenir une guerrière accomplie. Mais le pire reste à venir.
« On ne devient pas un général sans avoir subi des défaites et gagner quelques victoires. Et on ne devient jamais monarque sans avoir vaincu ses propres peurs… » (p. 202).
L’histoire est racontée de manière linéaire. Dans la première partie, l’auteur relate les grands évènements avec un style direct où l’action prévaut et la description n’a pas vraiment sa place. Dans un langage tantôt soutenu, tantôt courant, le temps ralenti à partir du complot des quatre. Enfin, nous pouvons découvrir le paysage, apprendre à connaître les différents personnages et commencer à vivre l’action. Le champ lexical de l’affrontement et de la guerre est le plus dominant tout au long du livre. On parle aussi de la recherche de l’unité, du respect des ancêtres et des traditions, et d’un idéal commun de grandeur et de prospérité.
Je raconterai l’histoire du dieu léopard pourpre à mes enfants. Share on XUn empire Africain prospère ayant des ressources naturelles, attaqué par ses propres fils avec l’aide d’étrangers, on se croirait au Wakanda. En effet, il y a plusieurs similitudes entre les deux histoires. Aujourd’hui l’Afrique a la cote. Mais j’ai surtout l’impression que nous faisons trop souvent la promotion d’un arbre déraciné et desséché. Les choses autour de nous ont été vidées de leurs significations, de leurs sens. Momi M’buze est en quête de sens. Frantz Fanon disait que l’homme noir a subi une déviation existentielle. Alors, il faut que l’on renoue avec ce qu’on a perdu. L’imaginaire ça compte !
Par contre l’univers de Momi M’buze n’est pas assez abouti à mon goût. Comparé à un Seigneur des anneaux, qui a tout un univers avec des langues et des dialectes que l’on peut apprendre, Momi M’buze ne fait que brosser un tableau assez abstrait de l’univers des Ntus. Par exemple, il est question de plusieurs ethnies, alors quelles langues parlent-elles ? Et comment communiquent-elles avec les autres ethnies ? Y a-t-il une langue commune ? Si oui, laquelle ? Que mangent les Ntus ? Etc.
Avec ce livre, j’ai un peu plus l’impression de me connaître moi-même et d’être un peu plus en paix avec mes racines. Je raconterai l’histoire du dieu léopard pourpre à mes enfants. Et ce qui m’a le plus plu, ce sont les noms ; je me faisais un malin plaisir de les prononcer à haute voix parce que sur ma langue, ils ont un goût particulier. Je le conseille à celles et ceux qui sentent au plus profond d’eux-mêmes qu’un changement de paradigme est nécessaire.