Récemment encore, l’ouest de la Côte d’Ivoire, où le problème foncier entre groupes ethniques perdure depuis quelques années, a fait l’objet de violentes attaques meurtrières faisant six morts. Du côté de l’Algérie, la gouvernance foncière et la mauvaise gestion publique du foncier économique occupent le débat public. En Afrique, avec son passé colonial dans sa grande majorité, l’on retrouve à quelques exceptions près, les mêmes problématiques foncières dans tous les pays.
Conscients de ces enjeux et soucieux d’y apporter des pistes de réflexions, des chercheurs africains venant du Kenya, du Ghana, du Nigéria, d’Afrique du Sud se sont réunis à Dakar, pour débattre du problème de l’accaparement et de l’acquisition à grande échelle des terres sur le continent, interpellant ainsi les pouvoirs politiques à prendre des dispositions pour réguler le secteur foncier en impliquant les populations locales dans le processus de décision, dans la gestion foncière.
Du côté du Cameroun, c’est Bernard Puepi qui interpelle le public et les décideurs africains sur le sujet dans son dernier ouvrage Les gouvernances foncières et leur impact sur le processus de développement : Cas de quelques pays africains , publié au mois de Novembre 2015 chez l’Harmattan. Afrolivresque a eu l’honneur de s’entretenir avec cet expert Géomètre, ancien haut fonctionnaire du Ministère de l’Urbanisme et de l’Habitat au Cameroun de 1969 à 1996, où il a notamment occupé la fonction de directeur du cadastre de 1985 à 1988.
Bernard Puepi, quelles ont été vos motivations pour écrire un ouvrage sur le foncier en Afrique ? À qui s’adresse votre livre ?
Dans la vie de tous les jours, le problème d’obtention d’une parcelle de terre semble être celui qui préoccupe tout le monde sans distinction de classe sociale ; l’observation des difficultés pour assouvir ce besoin m’a conduit à mener cette réflexion sur le foncier. Il s’adresse à tout le monde, jeunes, moins jeunes, étudiants, enseignants, chercheurs etc.
Comment se définit la propriété foncière dans l’Afrique traditionnelle ? À qui appartient la terre en Afrique traditionnelle ?
Dans l’Afrique traditionnelle, la terre appartient en principe à la communauté et est gérée par le chef de ladite communauté sans possibilité pour lui d’en faire une propriété personnelle. Il dispose uniquement du pouvoir de gestion dans l’intérêt de la communauté.
Comment cette notion a-t-elle évolué dans le temps jusqu’à nos jours face aux différentes influences étrangères ?
Les pénétrations européennes on introduit la notion d’appropriation privée individuelle des terres par l’imposition des règles de droit moderne, privant ainsi les autorités traditionnelles de leur pouvoir de gestion. La plupart des réformes postindépendances, tout en maintenant la gestion suivant les règles de droit moderne, ont introduit dans les procédures d’appropriation la participation des autorités traditionnelles, jouant ainsi à une espèce d’équilibrisme entre la coutume et le droit moderne.
Quels sont les différents acteurs dans le processus d’achat massif de terre en Afrique ?
L’opacité qui entoure ces acquisitions ne permet pas de donner un listing ordonné de ces acteurs. On peut cependant dire qu’il ya des sociétés multinationales, des fonds d’investissements, des pays accapareurs qui ont pour intermédiaires souvent des nationaux qui font du lobbying auprès des gouvernements. Le rôle des institutions financières internationales n’est pas aussi à négliger.
Quelles sont les implications géostratégiques de l’achat massif des terres par les multinationales étrangères en Afrique ? Quel en est l’impact sur le développement de l’Afrique, notamment sur sa sécurité alimentaire ?
Le manque de contrôle sur un pan de son territoire par un gouvernement constitue toujours un danger pour la paix dans le pays concerné. Les grandes plantations industrielles privent l’agriculture paysanne des terres fertiles et réduit les paysans en ouvriers agricoles, mettant ainsi en danger la sécurité alimentaire. Leurs produits sont souvent destinés à l’exportation et à la fabrication du biocarburant.
Quel rôle jouent les collectivités locales dans ce processus d’achat massif des terres ?
Dans le pays où la gouvernance est très centralisé, les collectivités locales ne jouent aucun rôle dans le processus. Dans certains pays où le pouvoir est décentralisé, les collectivités locales mettent le gouvernement central devant le fait accompli mais ce sont des cas assez rares.
Est-ce que les législations actuelles des pays africains sont adaptées à cette situation ? Quelles sont les difficultés ?
Les législations foncières sont entrain de subir des réformes sous l’influence des organismes comme le G8, L’U.E. la B.M. MCC. etc. pour faciliter la tâche aux accapareurs.
Il existe des cas de litiges entre les multinationales et les petits propriétaires terriens, où ceux-ci sont dépossédés de fait et illégalement de leurs terres. Quels sont les moyens de recours légaux que peuvent employer ces propriétaires pour défendre leurs intérêts ? Existe-t-il des organisations qui pourraient les accompagner dans leur démarche ?
Ces cas sont légion. Beaucoup d’organisations de défense de l’agriculture familiale (l’ONG Oxfam par ex) interviennent auprès des gouvernements nationaux et des investisseurs pour défendre les droits des paysans spoliés. Des succès notoires sont signalés dans certains pays.
Quel est le potentiel actuel des terres disponibles en Afrique en général ? Existe-t-il des statistiques officielles et fiables sur la disponibilité de ces terres ? Si oui, qui les produit et comment y avoir accès ?
Les statistiques fiables sont rares, mais des organismes comme le GRAIN-A contrecourant, le Comité français pour la solidarité internationale (CFSI), la Coalition pour la protection du patrimoine génétique africain (COPAGEN), SOS-Faim (Belgique) peuvent donner des indications sur certains pays.
Nous vous remercions pour cet échange.
Où trouver le livre de Bernard Puepi :
- vente en ligne l’Harmattan
- librairies en Afrique et ailleurs
- Librairie l’Harmattan –Cameroun, Yaoundé
- Super Marché DOVV Bastos Yaoundé-Cameroun