Les Jeux olympiques n’ont pas toujours été uniquement consacrés au sport. En effet, de 1912 à 1948, les compétitions artistiques olympiques faisaient partie intégrante du programme olympique. Les jeux olympiques artistiques et littéraires, initiative audacieuse de Pierre de Coubertin, fondateur des Jeux olympiques modernes, avaient pour but de réunir l’art et le sport dans un même cadre prestigieux.
L’origine des jeux olympiques artistiques et littéraires
En 1906, fort du succès croissant des Jeux, le baron Pierre de Coubertin proposa d’ajouter des épreuves artistiques aux compétitions sportives des Jeux olympiques. Cette proposition n’était pas sans précédent historique. Cette idée s’inspirait des jeux « musicaux » de la Grèce antique, qui incluaient des concours de musique, de poésie et de rhétorique. Coubertin considérait cette fusion comme le « parachèvement de l’idéal olympique », une tentative de réconcilier « le Muscle et l’Esprit », deux domaines qu’il jugeait injustement séparés.
Les jeux olympiques artistiques et littéraires furent officiellement introduits en 1912 lors des Jeux de Stockholm. Ils comprenaient cinq catégories principales : architecture, littérature, musique, peinture et sculpture. Les règles stipulaient que les œuvres devaient être inspirées par le sport ou l’idéal olympique. Pour la littérature, par exemple, les textes ne devaient pas dépasser 20 000 mots pour la prose ou 1 000 vers pour la poésie.
Les compétitions artistiques olympiques ont attiré quelques participants de renom. Pierre de Coubertin lui-même a remporté une médaille d’or en littérature en 1912. Il avait soumis son œuvre « Ode au sport » sous le pseudonyme de Georges Hohrod et Martin Eschbath.
Le texte français de l’Ode au Sport primé aux concours de Lettres et d’Arts de la V° Olympiade.
Ode au Sport.
I.
O Sport, plaisir des Dieux, essence de vie, tu es apparu soudain
au milieu de la clairière grise où s’agite le labeur ingrat
de l’existence moderne comme le messager radieux des âges
évanouis, de ces âges où l’humanité souriait. Et sur la cîme des
monts, une lueur d’aurore s’est posée; et des rayons de lumière
ont tacheté le sol des futaies sombres.
II.
O Sport, tu es la Beauté ! C’est toi, l’architecte de cet édifice
qui est le corps humain et qui peut devenir abject ou sublime
selon qu’il est dégradé par les passions viles ou sainement cultivé
par l’effort. Nulle beauté n’existe sans équilibre et sans
proportion et tu es le maître incomparable de l’un et de l’autre
car tu engendres l’harmonie, tu rythmes les mouvements, tu
rends la force gracieuse et tu mets de la puissance dans ce qui
est souple.
III.
O Sport, tu es la Justice ! L’équité parfaite en vain poursuivie
par les hommes dans leurs institutions sociales s’établit d’elle même
autour de toi. Nul ne saurait dépasser d’un centimètre
la hauteur qu’il peut sauter ni d’une minute la durée qu’il peut
courir. Ses forces physiques et morales combinées déterminent
seules la limite de son succès.
IV.
O Sport, tu es l’Audace ! Tout le sens de l’effort musculaire
se résume en un mot : oser. A quoi bon des muscles, à quoi bon
se sentir agile et fort et cultiver son agilité et sa force si ce n’est
pour oser ? Mais l’audace que tu inspires n’a rien de la témérité
qui anime l’aventurier lorsqu’il livre au hasard tout son enjeu.
C’est une audace prudente et réfléchie.
V.
O Sport, tu es l’Honneur ! Les titres que tu confères n’ont
point de valeur s’ils ont été acquis autrement que dans l’absolue
loyauté et dans le désintéressement parfait. Celui qui est parvenu
par quelque artifice inavouable à tromper ses camarades,
en subit la honte au fond de lui-même et redoute l’épithète
infamante qui sera accolée à son nom si l’on découvre la supercherie
dont il a profité.
VI.
O Sport, tu es la Joie ! A ton appel la chair est en fête et les
yeux sourient; le sang circule abondant et pressé à travers les
artères. L’horizon des pensées devient plus clair et plus limpide.
Tu peux même apporter à ceux que le chagrin a frappés une
salutaire diversion à leurs peines tandis qu’aux heureux tu permets
de gouter la plénitude du bonheur de vivre.
VII.
O Sport, tu es la Fécondité ! Tu tends par des voies directes
et nobles au perfectionnement de la race en détruisant les germes
morbides et en redressant les tares qui la menacent dans sa
pureté nécessaire. Et tu inspires à l’athlète le désir de voir grandir
autour de lui des fils alertes et robustes pour lui succéder
dans l’arène et remporter à leur tour de joyeux lauriers.
VIII.
O Sport, tu es le Progrès ! Pour te bien servir, il faut que
l’homme s’améliore dans son corps et dans son âme. Tu lui
imposes l’observation d’une hygiène supérieure; tu exiges qu’il
se gare de tout excès. Tu lui enseignes les règles sages qui donneront
à son effort le maximum d’intensité sans compromettre
l’équilibre de sa santé.
IX.
O Sport, tu es la Paix ! Tu établis des rapports heureux entre
les peuples en les rapprochant dans le culte de la farce contrôlée,
organisée et maîtresse d’elle-même. Par toi la jeunesse
universelle apprend à se respecter et ainsi la diversité des qualités
nationales devient la source d’une généreuse et pacifique
émulation.
PIERRE DE COUBERTIN
Les défis et les controverses
Malgré leur ambition, les compétitions artistiques olympiques ont rencontré de nombreux obstacles. Le jugement subjectif des œuvres d’art contrastait fortement avec les performances sportives mesurables. La distinction entre amateurs et professionnels, centrale dans l’esprit olympique de l’époque, s’avérait complexe à établir dans le domaine artistique.
La participation aux compétitions artistiques olympiques était souvent faible, en particulier dans les premières années. La qualité des œuvres soumises faisait parfois l’objet de critiques, et il était difficile d’attirer des artistes de renom. De plus, ces concours avaient tendance à favoriser des styles classiques au détriment de l’avant-garde artistique.
Pour les Jeux de Paris en 1924, un jury prestigieux fut constitué afin de rehausser le prestige de la compétition. Il incluait des personnalités telles que Jean Richepin, Gabriele D’Annunzio, Edith Wharton, Selma Lagerlöf, Paul Claudel et Jean Giraudoux. Malgré cela, les polémiques et le mécontentement des lauréats persistèrent.
Par ailleurs, la participation aux compétitions artistiques olympiques était généralement faible, surtout au début.
La fin d’une expérience unique
Après les Jeux de Londres en 1948, le Comité International Olympique prit la décision de mettre fin aux compétitions artistiques olympiques. Cette décision marqua la fin du « rêve » de Pierre de Coubertin d’une union parfaite entre le sport et l’art dans le cadre olympique. Les concours furent remplacés par un programme culturel parallèle aux épreuves sportives.
Les jeux olympiques artistiques et littéraires restent un chapitre fascinant de l’histoire des Jeux. Bien qu’ils aient disparu des Jeux olympiques, leur héritage perdure. Aujourd’hui, les Jeux olympiques continuent d’intégrer des éléments culturels et artistiques, notamment à travers les cérémonies d’ouverture et de clôture. Ces événements perpétuent, d’une certaine manière, la vision originale de Pierre de Coubertin.