Lettre du Panthéon de Shungu Wembadio alias Papa Wemba

par Marien Fauney Ngombé
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Chers villageois de Molokaï,
Chers villageois de la planète terre,
Chers tous,

Selon votre calendrier grégorien, nous sommes le 26 avril 2017. Cependant là où je me trouve, la notion de temps et d’espace est totalement différente de celle de la terre. J’emprunte le chemin de l’imaginaire d’un passionné de musique pour esquisser quelques parcelles de ma vie ici.

Je ne sais par où commencer. C’est étrange. J’ai l’impression d’avoir toujours été là. Nos présidents éternels doivent probablement avoir la même impression. Comme eux, je ne sais plus de quand date mon élection, ni mon admission dans ce lieu.

Nous sommes dans un large halo lumineux où la méditation occupe le plus clair de notre temps. Il nous arrive néanmoins de rompre la routine. De nous octroyer des moments de douces aspérités.

Des moments de drôleries et d’émotions.

Tenez pour exemple, ce matin, après son petit-déjeuner, The Duke a été pris d’une sorte de folie douce. Comme par une obsession créatrice. Il a désaccordé ses 12 pianos blancs. Oui, il en a 12. Subitement. Il l’a fait avec minutie. Il avait l’outillage nécessaire : diapasons, un plectre, des gants et un arsenal d’objets qui m’étaient inconnus. L’un après l’autre. Chaque piano. Il a ensuite testé la disharmonie du son que crachaient ces caisses à musique.

Un boucan de deux orchestres amateurs de Poto-poto.

Son vacarme m’a arraché de ma méditation matinale. C’est vous dire.
« Je veux créer à partir du chaos Shungu … le Chaos !! » maugréait-il.
« Comment veux-tu que je crée si autour de moi il règne un ordre martial et un calme monastique?! ».

« Le Bing Bang Shungu ! Du Chaos naquit la Création … », insistait-il le regard hagard.
« Je veux créer la dépression dans laquelle s’engouffrera mon génie créatif Shungu ! », l’écume se formant au coin de ses lèvres.

Il m’amuse le vieux Duke. Tous les génies ont un grain dans le cerveau. J’en suis désormais persuadé. Voir plus d’un grain d’ailleurs.

Réflexion faite, je m’aperçois qu’il a raison. Après tout le temps qu’il a passé ici, il est difficile de trouver des sources d’inspiration. Il faut la gangue pour extraire le diamant. Trainer dans la boue comme un maquisard. Être dans une situation d’inconfort comme Kabila père pour trouver le chemin.

L’idée révolutionnaire. L’inspiration en quelque sorte.

D’ailleurs, je me souviens d’un de mes paroliers. Sa brève carrière illustre le propos de The Duke. Il était « Bamba lipapa » – cordonnier ambulant – et cireur de godasses à la fois. Il travaillait sur le boulevard Kasa Vubu à Kinshasa. Le petit était très inspiré. Un jeune de 16 ans frêle et aussi discret que le pet d’un moustique. Il écrivait ses textes en inhalant l’odeur de son cirage bon marché toute la journée, mêlée aux émanations des pots d’échappements des maudites bagnoles qui traversaient l’avenue en le narguant. Entre deux clients, il peaufinait des textes d’amour dignes de ceux du petit Yvon Moumpala et de Felix Wazekwa.

Figurez-vous que le jour où il a commencé à gagner son pain, il a ouvert un kiosque de vente de bonbons et biscuits de fabrication locale. C’est en s’éloignant des rejections des vieilles guimbardes de l’avenue Kasa-Vubu que son inspiration s’est fait la malle.

« Le Chaos.. » de Duke. Je suis d’accord. Le nécessaire Chaos.

Dans ces moments, seul Louis Amstrong parvient à l’arracher de ses obsessions.

Oui les amitiés perdurent là haut. Des matinées comme celles là sont nombreuses.

Ici, dans les hauteurs éthérées, la vie est malgré tout plus que paisible. Tout baigne dans une lumière qui éblouit d’abord les nouveaux arrivants et rassérène ensuite.

Je vous ai parlé de Duke, mais j’ai croisé différents artistes de tous horizons depuis que je suis ici, dans ce havre de paix. Ceux avec qui j’ai collaboré comme le maestro Tito Puente. Toujours un mot pour rire. Sa crinière et ses dents blanches sont assorties au nuage immaculé dans lequel nous baignons.

J’ai échangé avec les plus grands. Ceux avec qui j’aurais voulu collaborer de mon vivant de l’autre côté tels Michael et Prince. Nous avons en commun avec ces deux grands artistes le fait d’avoir gardé une âme d’enfant.

Et je comprends qu’eux comme moi ne vivions que par la musique. Nous étions « les soldats du 4ème art».

Dites aux jeunes de Bandal que Prince connaît mieux mon répertoire que je ne connais le sien. J’ai échangé longtemps avec le génie de Minneapolis, il travaille sur la polyphonie africaine et mon œuvre lui sert de référence! Incroyable!

Suka na fimbu!

Pour pallier ma méconnaissance du répertoire de Prince, et lui rendre la pareille, je lui ai dit que dans mon orchestre, j’avais un inconditionnel de sa voix qu’on appelait Petit Prince et que je ferai les présentations un de ces jours; Petit Prince m’ayant précédé là haut.

Avec Mike, oui je l’appelle comme ça, on chante souvent, car je connais mieux son répertoire. Ici je n’ai pas de problème de langue. Ils parlent anglais et je parle lingala, mais tout le monde parle toutes les langues et se comprend par je ne sais quel miracle acoustique.

C’est encore une étrangeté de Lola – l’au delà-.

Vous n’allez pas me croire, mais je croise aussi souvent Otis Redding et Marvin Gaye partageant le même micro blanc. Ils me saluent avec un « Mangrokoto Shungu !» déférent et appuyé.

Otis Redding pense que ma version de « Fa fa fa » est meilleure que l’originale.

Ici « Shungu ! » est dans toutes les bouches. Peu de gens m’appellent Papa Wemba. Quant à mes autres pseudonymes, ils ne sont utilisés que par les kinois, brazzavillois et quelques frères du Cameroun et de Côte d’Ivoire.
Voilà comment je passe mon temps infini.

Nous sommes dans l’éternité. Tout est immuable et figé en quelque sorte.

Ici, personne ne vieillit, mais personne ne rajeunit non plus. Tout le monde a le physique du jour de sa mort. Croyez -moi que voir James Dean né en 1931 avec une gueule de gamin, alors qu’il est de loin plus âgé que moi, ça te file un coup de vieux.

Finalement, l’indice sur l’âge des uns et des autres sont la coupe de cheveux, le look, la démarche qui trahissent les fantaisies de chaque époque.

Une exception toutefois. Miles Davis. Il rajeunit. La raison est toute simple : il ne s’esquinte plus la santé avec ses drogues plus ravageuses que la sorcellerie d’un vieux Téléla édenté. Plus de drogues, d’amphé, d’ectas. Il a retrouvé sa tronche de jeune premier. Il m’appelle « chanteur de blues ». Je l’appelle « prince de la sape» car ici il a retrouvé élégance et dandysme.

Mais Miles n’en a cure de son élégance ressuscitée. Il cherche comme Ellington le chaos désormais mort en lui. Il le cherche en vain dans son esprit. Il cherche les tourments enfouis.
Hélas ici nous n’avons presque plus de souvenirs de la douleur. Oui, nous nous souvenons des moments douloureux, mais avec la distance d’un homme qui se rappelle une émotion lointaine. Comment vous dire, c’est comme visualiser Neptune d’un télescope acheté au marché central. Une pacotille sans utilité. Vision nulle. Zéro.

Je sais que ma digression sur les stars rencontrées plaira à mes petits de Molokaï.

J’ai croisé toutes les stars de la rumba qui m’ont précédé comme vous vous en doutez : mon petit frère propre King Kester Emmeneya, le grand ninja Madilu, le grand maître Franco himself qui paraît beaucoup plus jeune que moi et toute la grande famille de la rumba. Nous nous voyons tous les déciles (unité de mesure de l’espace-temps ici) chez Maya Angelou. Une femme d’exception, amoureuse de la musique et de l’Afrique. On y retrouve tout le gratin des chanteurs noirs de Bébé Manga, à Myriam Makeba en passant par Fela avec ses éternels slips et saxophones blancs, et ses blagues folles à faire bouffer de la charogne à Euterpe.

Voilà que mon stylo me fait oublier quelqu’un.

« Oh Nkuru ! ».

Tenez le voilà qui m’appelle.

C’est le Ngantsié qui m’apostrophe. Il déteste les plats qu’on nous sert ici. De l’ambroisie et du nectar de fruits. Oui Strevos Niarcos alias Eddy Bara, mon frère dans la vie, dans la musique et dans la SAPE. Il est resté grande gueule. Il a la gouaille à tout rompre. « Le pape de la religion kitendi » c’était son surnom en bas. Peu auraient parié qu’il se retrouverait du bon coté après sa mort. Ils ne connaissaient pas le cœur de mon ami. Des mécréants. J’étais heureux de retrouver celui qui m’a écrit quelques uns de mes plus beaux tubes.

« Boni Ngantsié que me veux-tu? Je croyais que tu préparais une collection avec Gianni Versace et que tu voulais refaire 1500 blousons en cuir blanc! ».

Oui ici tout est blanc. Je ne sais plus si je vous l’ai dit.

D’ailleurs Gianni Versace en arrivant dans l’endroit que vous appelez le paradis aurait dit « Vaffanculo ! comment mettre des motifs sur mes créations ? Je mets où ma méduse? Comment je crée des imprimés originaux si tout est blanc ?! ».

Mais sa surprise fut belle quand il a découvert que le blanc ici n’est pas le spectre froid du monde d’en bas.

Ici, le blanc a des nuances. Je ne pourrai vous l’expliquer, ça dépasserait votre entendement. Mais la beauté de cette couleur incarnée est inouïe. On ne fait pas que voir cette couleur on la ressent. Les sens se confondent. Cette couleur nous exhalte. Ici cette couleur est tantôt effluve, tantôt sensation. Je vous l’ai dit, ça dépasse votre entendement.

Le Ngantsié comme certains ici ont le chaos indélogeable dans leur esprit même s’ils sont plus calmes. Le chaos Seseko. Ce qui lui permet de créer des vetêments avec Gianni et d’écrire des textes. Ils font un tabac chez Maya d’ailleurs.

Mes chers villageois, une autre chose surprenante. Les architectes ici ont créé un univers propre à chacun, un espace parallèle. Un espace qui nous rapproche de vous. Qui nous relie à notre vie sur terre. Une sacrée invention des régisseurs, les hauteurs éthérées.

Pour faire simple : tout ce à quoi nous pensons fortement sur terre existe réellement ici. Ce qui ce conçoit dans une forte pensée sur terre prend vie dans l’au- delà.

J’ai donc retrouvé toutes les personnes imaginaires que j’ai chantées. Tout comme mes amis écrivains ont rencontré les personnages de leur roman. Mais dans cette zone je n’interagis pas avec les autres personnes qui sont dans l’au – delà avec moi. J’y vais seul. Et c’est vrai que j’y passe des moments intenses. Parfois je croise ceux avec qui j’ai interprété en duo des chansons.

Chaque semaine je croise Aména qui tape la discute avec King Kester et Pépé Kallé. En fait c’est plus souvent Kester avec Amena, pourtant j’ai fait d’autres duos avec lui. Je le vois constamment avec cette fille. Il m’a dit la semaine dernière « avec sa chute de reins de mandjack et son savoir faire mongo, tu ne risques pas de me croiser ailleurs. Cette fille a les obus du M23 devant comme derrière. Ne compte pas sur moi pour rester observateur comme la Monusco Vieux Bokul ».

Ce fut ses derniers mots avant de s’en aller avec sa démarche particulière : claudiquant de la jambe droite et avec son épaule droite placée de manière asymétrique, on aurait dit déboitée. Rires. « Victoria é Certa ! ».

Ces incursions dans mon espace privé, m’ont fait réaliser que j’avais imaginé ou immortalisé en chanson de nombreuses femmes, particulièrement de Kinshasa, et de Brazzaville.

J’ai retrouvé chacune d’elles avec les apprêts et le canon de beauté propre à chaque époque. Ainsi J’ai vu défiler l’histoire du Zaïre et de la RDC. Au travers des coupes de cheveux de ces femmes, passées des tresses avec fils à l’afro au tissage. Certaines étaient velues comme le voulaient la mode et d’autres plus près de vous dans le temps (selon votre calendrier) épilées du mollet jusqu’aux sourcils.

Et chose amusante, moi également je change selon que je me retrouve dans une chanson des années 7O en pantalon pattes d’éléphant, chemise en polyamide, en chaussures « Mombombo dominé » avec des cheveux gras à cause de ce fichu produit pour se défriser les cheveux.

J’ai pu grâce à ce lieu créé par moi, parler à Pauline (celle de mes premières chansons écrites dans Zaiko Langa Langa) avec ses tresses dressées comme des épis de maïs. Pauline arbore une jupe verte longue jusqu’aux orteils. Un regard qui transpire la candeur. Avec encore le lait maternel au bout des lèvres. Le Ngantsié aurait dit avec « le caca aux fesses ». C’est de cette façon qu’on nommait les filles encore trop jeunes pour aller avec un mec. C’est une impression étrange que de voir ces femmes. Je m’adresse à elles comme à des étrangères mais elles me connaissent car nous sommes liés par l’histoire que raconte chacune de mes chansons.

Papa Wemba

 

Je ne vous raconte pas comment je fus déstabilisé par une fille de 15 ans qui me fixait sans honte. Son physique baragouinait à peine le langage corporel de l’adulte. Pourtant elle plantait son regard jusque dans les parties intimes de mon corps. Un regard-glaive. Un regard avide. C’était Santa, je lui faisais du gringue dans la chanson qui porte son nom. Elle aussi était en longue jupe mais avec une coupe afro pointée vers le haut. En forme de flamme comme le symbole du MPR.

D’ailleurs, je réalise que la plupart des filles que je chantais, je les croise habillées en jupe. Je comprends c’était sous Mobutu Séséko Koukou Wendo Wazabanga. La grande époque de l’authenticité. Les filles ne portaient pas de pantalons et nous n’avions le droit ni aux prénoms français, ni aux cravates.

A y songer, la créativité vestimentaire de ma génération a du être exacerbée par cette politique. Nous avions le choix entre les abacosts ou de banales chemises. Alors nous avons fini par trouver des habits créés par des italiens ou japonais qui redoublaient d’inventivité.

Chers villageois, ma zone privée me donne un plaisir fou. C’est notre « péché autorisé » comme dit Fela.

Ma promenade a un jour, quitté le Zaire pour la RDC. Ce fut le jour de ma rencontre avec Maria. Maria Valencia. La petite était terrible ! Elle ne marchait pas, elle lévitait dans les hautes sphères. Une fille loin de mon canon de beauté. Plutôt menue avec des proportions divines. La divine proportion incarnée. Dans la chanson, je décris son sourire, sa démarche. J’en parle comme celle d’un ange. Et à bien y penser, elle ne peut être le fruit de mon imagination. Elle existait déjà là haut. Elle s’est imposée à mon imaginaire. Les anges n’avaient pas de sexe. Jusqu’à Maria Valencia.

Si vous ne devriez retenir qu’une chose de cette lettre, c’est ce que je m’apprête d’écrire entre deux méditations.

Souvenez-vous, un jour dans les années 70, j’ai composée une chanson dédiée à ma femme Amazone. Alias Mukaramè. Alias Maria-rosa. Mon amour. J’ignorais que celle-ci rendrait ma vie là-haut si douce. J’ai laissé Amazone parmi vous en bas. Mais j’ai rencontré Amazone dans ma zone privée. Oui Marie-Rose la maman d’Orphée. La même que vous voyez parmi vous. Sauf que celle que j’ai avec moi a juste 20 ans de moins. Elle me témoigne ma jeunesse. Elle témoigne de la force de notre Amour. Elle témoigne de l’éternité de notre amour. Elle et Mama Nyondo, ma mère me raillent souvent. Elles prennent soin de moi. Rendez-moi un service. Prenez soin de l’Amazone qui est parmi vous. De la Mino comme aurait dit un ami griot du Dahomey.

Retrouver Mukaramè a créé le chaos en moi. La quête de Duke que j’évoquais plus haut. Le chaos qui inspire. Le chaos dont naît l’harmonie absolue. Longtemps, j’ai refusé de parler à mon Amazone de là-haut. Transi d’appréhension. Mais le jour où j’ai mis k.o. cette peur, j’ai compris que sa lumière était la même que le halo dans lequel nous sommes baignés.

Lumière intérieure blanche. De ce blanc qui parle à tous les sens.

Je dois y aller mes villageois. Mais promis, je me glisserai dans l’imaginaire d’un autre mélomane très bientôt.

Je vous salue selon la tradition de Molokaï: “Mangrokoto ba yaya ! Mangrokoto na bino ba yaya !”

Et que Viva la Musica…

Papa Wemba kaka!

Bissap, tisane ou café ?

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