C’est par une fraîche soirée d’automne que je vois ce beau monde converger vers le théâtre de l’Odéon. Je reconnais quelques artistes juste devant moi. Une romancière un peu plus loin. Nous sommes le 10 octobre 2016. Les journées raccourcissent. Les lumières du Paris by night sont un écrin pour l’édifice. La seule vue du théâtre participe à introduire la soirée qui m’attend. Je retrouve des co-auteurs du recueil Franklin l’insoumis (La Doxa, 2016) dans la queue pour prendre leurs places. Je suis là grâce à Afrolivresque, magazine littéraire pour lequel je suis contributeur et qui a été associé au plan média de l’événement. Je récupère mon invitation, mon casque de traduction et me voilà installé place corbeille pour enfin écouter les intervenants parler de Maya Angelou. C’est le début de la soirée.
Une musique nous plonge dans une atmosphère jazz. Je ne reconnais pas l’artiste, mais une ambiance s’installe peu à peu. Les lumières s’éteignent. Les projecteurs éclairent l’entrée de Rita Coburn-Whack, Leonora Miano, Nicole Dogué, Margot Dijkgraaf et Russel Banks. Les noms de Léonora Miano et Banks raisonnent particulièrement dans ma tête. On ne présente plus Miano à ceux qui s’intéressent à la littérature francophone. Tout le monde connaît sa rigueur d’écriture, son projet littéraire pour la cause africaine ou noire et son caractère bien trempé. Russel Banks le célèbre romancier dont des titres comme American darling me viennent à l’esprit. Une photo en guise d’unique décor illumine la salle. Elle présente une Maya Angelou, cheveux blancs étincelants, coupés court, bouche entre ouverte avec un regard intense qui fixe l’assistance. Tout au long de la soirée qui durera près de deux heures, Maya the « Phénoménal woman » est littéralement omniprésente. Et pour cause… nous allons voyager dans son existence.
La rencontre commence par une lecture de Nicole Dogué d’un texte extrait de Lettre à ma fille (dernière publication posthume aux Éditions Noirs sur blanc, préface de Dinaw Mengestu). Il y est question d’enfance. L’enfance qui ne part jamais. Nous apprenons à faire des choses, mais nous restons les mêmes enfants que nous avons été, timides et maladroits (je cite de mémoire). C’est le fil rouge de la rencontre. Il y sera question de l’enfance qui donne la trajectoire de notre vie. Sans tomber dans le pathos, on évoque l’enfance douloureuse dans le sud des États-Unis. Le sud ségrégationniste pour cette enfant née en 1928. Dans cette société raciste dans laquelle un enfant blanc aurait pu traiter un adulte noir de tous les noms sans que personne s’en offusque. Mais on parle surtout de l’acte qui sera peut-être la source de la force de Maya Angelou ou alors la fêlure qui laissera passer l’étincelle de génie. Le viol de Maya Angelou à 7 ans. Leonora Miano fait le parallèle avec son enfance et celle d’Oprah Winfrey qui a connu les mêmes sévices. On appendra plus tard qu’Oprah était une amie de Maya et c’est elle qui demande à Rita Coburn-Whack de faire des entretiens avec Maya. C’est ce qui donnera le film Maya Angelou : And Still I rise. De l’enfance, on passe à Maya jeune adulte qui passera par toutes les formes d’expressions artistiques : actrice, poète et chanteuse. On peut voir dans des extraits du film de Rita Coburn-Whack une Maya qui chante avec grâce dans les clubs de jazz de l’époque, ou chantant du Calypso avec ce physique atypique pour l’époque. Grande, athlétique, se mouvant avec assurance… À propos de ce physique, Russell Banks qui l’a vue sans être un intime, a dit avoir été impressionné par cette dame. Sa démarche, sa présence, sa façon de regarder de près et droit dans les yeux.
Les interventions de Miano qui n’a pas manqué d’ironiser sur le fait qu’en France, on parle plus facilement d’une Africaine Américaine qui a lutté pour les droits des noirs et pour la condition des femmes que d’une noire française, alors qu’il existe des noires en France qui portent un discours aussi intéressant. Elle explique ensuite sa passion pour une Angelou résiliente, jamais larmoyante, qui dans ses combats questionne la place de la femme dans le monde. On rappelle les voyages de Maya en Afrique, Égypte et Ghana, et questionne la place de la femme dans le monde finalement et aussi de l’africain et de sa diaspora. Au niveau de la langue, Miano attire notre attention sur le fait que Maya Angelou dans son combat avait déjà pris conscience du fait qu’il fallait se réapproprier la langue du colonisateur, du dominateur pour le dénoncer.
Alors que les échanges ne manquent pas de profondeurs souvent et d’humour par instants, dans la dernière partie de la soirée, la projection de la vidéo de Christiane Taubira est un moment fort. À tout point de vue ! D’abord, elle vient faire des ponts entre des générations de femmes qui n’ont certes pas la même existence, mais dont le travail littéraire place la question de la place des Noirs dans l’histoire de l’humanité et de la femme au centre avec en plus un travail sur la langue. Taubira parle de « lyrisme du quotidien » en parlant de Maya Angelou. Une écriture très belle et très accessible. Et parle d’un travail plus ciselé sur la langue et le langage dans le cas de Toni Morrison et de Léonora Miano. Cette intervention renvoyait aussi au propre parcours de Taubira en filigrane. On pense à la loi Taubira sur l’esclavage, au combat politique d’une femme noire dans une France qui a plein d’approximations en matière de place des femmes… De Maya Angelou, on passe à Toni Morrison, Taubira et Miano comme la sève d’un même arbre qui irrigue différentes branches. Ensuite, Taubira cite Angelou et avec le sourire conclut son intervention par une note d’enthousiasme.
On peut dire que le ton de la soirée était aussi à l’anecdote comme les relations complexes entre deux amis Maya et Billie Holiday. Ou encore la rencontre de Maya Angelou et Tupac Shakur sur le film de John singleton, Poetic Justice : Maya s’adresse à un jeune noir qui jure à tout-va. Elle finit par avoir un entretien avec ce jeune tourmenté. Elle fait pleurer un Tupac qui comprend le parcours de cette femme qui lui rappelle les combats de sa propre mère, ancienne Black Panther. Taubira dira que Maya est « un enseignement insurrectionnel, une insurrection par l’amour… »
La soirée est émaillée par d’autres fragments de textes, notamment l’extrait de Je sais pourquoi chante l’oiseau en cage dans lequel Maya Angelou raconte son enfance dans l’Arkansas, la difficulté du travail dans les champs de coton, son amour démesuré pour son grand-frère ange gardien. Pour finir, Nicole Dogué nous a lu un autre extrait de Lettre à ma fille dans lequel il est question du rapport de Maya avec sa mère. Celle-ci devant le courage de sa fille dit dans ce texte « tu as du courage et de la détermination, avec ça tu peux aller partout et n’importe où ».
Celle dont l’œuvre est en grande partie autobiographique nous a encore montré ce soir-là, comme l’a dit Russel Banks, que « pour elle, le « je » est un « nous » » tant sa voix est celle de l’humanité sans fards. Celle de tous les hommes, femmes, les noirs et blancs.
Merci à toi la petite fille de Stamps, Miss Calypso, The Phenomenal Woman!