Premier roman de Blick Bassy: Une plongée au coeur de la jeunesse camerounaise avec « Le Moabi Cinéma »

par La redaction
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Premier roman de Blick Bassy: Une plongée au coeur de la jeunesse camerounaise avec « Le Moabi Cinéma »

Avez-vous bien dit Le Moabi Cinéma premier roman de Blick Bassy?? Quand on évoque le nom de Blick Bassy, l’on s’attend à parler musique, mélodies, guitare, son, etc etc…, surtout après son dernier album « Akö » qui a rencontré un grand succès international, et dont la seconde chanson « Kiki » a été sélectionnée par le géant Apple pour la publicité du dernier iPhone 6. On le connaît aussi pour les textes de ses chansons qui sont exclusivement en langue Bassa, chose assez rare dans le métier, la tendance étant de chanter dans les langues les plus utilisées internationalement comme l’anglais par exemple. C’est une marque de fabrique chez lui à laquelle il tient, et il prouve bien par-là qu’il est possible d’avoir du succès dans la musique en chantant dans n’importe quelle langue.

À la surprise de tous, le chanteur camerounais nous revient cette fois-ci, non pas avec un album ou un single, mais avec un roman, Le Moabi Cinéma, premier roman de Blick Bassy, sorti en France en avril de cette année et édité chez Gallimard dans la célèbre collection « Continents noirs » qui a fêté ses quinze ans en 2015.

La vie au quartier Nkolmesseng

Blick Bassy nous invite tout au long des 226 pages, à un voyage au Cameroun, à la rencontre de « Mingri », alias Boum Biboum, jeune camerounais vivant à Nkolmesseng, quartier tranquille et situé en périphérie de la capitale, Yaoundé. Boum Biboum est le fils d’un commissaire colérique, qui fait régner la terreur dans une maison familiale remplie de deux femmes, de beaucoup d’enfants et de papy Ebanda, le grand-père qui observe tout. Entre corvées ménagères et école, Boum Biboum passe beaucoup de temps dans le quartier avec sa bande d’amis à jouer au foot, à refaire le monde en « tapant les divers » comme on dit au Cameroun. Après l’obtention de leur Bac, Boum Biboum et ses amis abandonnent après quelques mois seulement leurs études à l’université de Yaoundé, découragés et dégoûtés par les conditions misérables qui y règnent. Ils décident tous de quitter le Cameroun pour aller en « Mbeng », la France, pays de tous les rêves et de toutes les garanties de réussite sociale selon eux.

La réalité du rêve

En attendant d’obtenir des visas, ils trainent chez Molo, tenancier du bar « Chez Molo l’infalsifiable », un bistrot branché de la place avec une clientèle locale et internationale. Les journées se succèdent, les casiers de bières aussi. L’attente se fait de plus en plus longue. Boum Biboum, Simonobisick, Kamga, Obama et Rigo, accompagnés de Yap et Google+, deux autres mecs du quartier qui se joignent de temps en temps à eux, n’abandonnent pas leur rêve de partir là-bas. Au contraire, les images de la « télévision séquentielle » et le show des Mbenguistes dès leur descente d’avion en provenance d’Europe, font croître leurs frustrations qu’ils noyent de plus en plus dans l’alcool.

[…] Le mbenguiste racontait souvent les mêmes choses, avec des versions différentes. On avait passé l’après-midi à boire et à l’écouter, lui qui avait une villa en plein Sarrebourg. Le nom sonnait bien, il nous dit que c’était en Lorraine, près de Strasbourg, près de l’Allemagne, bref, près du vrai pouvoir en Europe. Ah bon ?! On s’exclama et il nous fusilla du regard et en oublia sa grammaire léchée pour reprendre spontanément notre français à nous : « Vous croyez que quoi ? Que qu’est-ce qu’il y a même là ? On vous ment ici. Les Allemands ont peut-être perdu la dernière guerre, mais ils ont remporté haut la main la guerre économique en Europe. Vous êtes assis ici et vous rêvez à un monde qui n’est plus ! » Nous avalions les mouches et le cousin, s’apercevant qu’il avait quitté le neuf-trois pour se rapprocher de la puissante Allemagne, se tut, but, ne rota pas comme nous, et reprit cette fois avec l’accent des mbenguistes :

  « Naturellement, cela va sans dire, et tout le monde peut se figurer, même sous ces cocotiers et manguiers qui nous observent, la trépidante existence qui règne de Paris à Sarrebourg, de Béthune à Cantin, de Lyon à Menton… Ah, j’ai dit que je venais de Sarrebourg, n’est-ce pas ? Fort bien, mais ne confondez pas ma ville avec celle de Saarburg, qui se trouve en Rhénanie-Palatinat, je veux dire en Allemagne… »

  On applaudit. On était devant un Monsieur qui savait.[…]

Un jour, pendant un match de foot organisé pour impressionner les filles, en particulier la belle Elikya, Boum Biboum, en allant chercher le ballon dans la forêt qui était à la lisière du stade, fait une découverte extraordinaire. Cette découverte va le bouleverser et remettre certaines de ses certitudes en question. Comment raconter ce qu’il a vu ? Qui le croira ? Faut-il le raconter à ses amis ?

Le premier roman de Blick Bassy

Le Moabi Cinéma est un roman authentique et original, qui dessine la vie de personnages hétéroclites, sans pour autant négliger la recherche de la qualité dans l’écriture. Le lecteur se noue d’amitié avec ces derniers et partage leurs angoisses et leurs joies. Le Moabi Cinéma, c’est aussi un roman engagé, une subtile, grosse et belle taloche bien appliquée sur le crâne de toute la société camerounaise avec toutes ses contradictions, ses influences étrangères et ses espoirs. Aucune classe sociale n’est épargnée.

Le premier roman de Blick Bassy réussit le pari d’offrir d’abord un très bon moment de lecture. C’est un roman agréable, facile à lire et qui fait beaucoup rire. L’intrigue s’installe lentement, suscitant l’attente du lecteur, mais ça vaut le coup d’aller jusqu’au bout de sa lecture. À la fin tout s’éclaircit. La jeunesse camerounaise, et africaine en général, s’y reconnaîtra. Pour les autres, ce sera une belle occasion de mieux comprendre la sociologie de ceux qui veulent partir à tous les prix, mettant même parfois leurs vies en danger, pour ensuite revenir au pays comme des « fantômes ». Partir en Mbeng, c’est aussi un peu mourir. Et qui revient du pays des morts est un fantôme.

Par Francine Mondjo

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