Théo Ngongang Ouandji : « Nous nous sentions supérieurs aux Anglophones »

par La redaction
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Théo Ngongang Ouandji Nous nous sentions supérieurs aux Anglophones

Nos années 80-On va faire comment ? est un livre surprenant, risqué et audacieux par son style. Un recueil de 50 petites anecdotes dans un ton simple et cocasse, et qui nous plonge dans les souvenirs d’enfance de l’auteur camerounais Théo Ngongang Ouandji. Une enfance qui se déroule pendant les années quatre-vingt au cœur de la bourgeoisie camerounaise de la capitale Yaoundé. Avec Nos années 80-On va faire comment ? , Théo Ngongang Ouandji interroge les responsabilités de cette génération-là par rapport aux crises actuelles. Et cela gêne parfois, surtout quand on est soi-même issu de cette bourgeoisie. Nos années 80-On va faire comment ? c’est aussi un essai attachant car rempli de ces petits instants innocents qui faisaient la joie de vivre de ces adolescents ou jeunes adultes. Loin d’être un livre d’Histoire, c’est un carnet de bord de la vie quotidienne d’une partie de la jeunesse camerounaise dorée des années quatre-vingt. Théo Ngongang Ouandji, qui présentera son livre au public parisien le 20 octobre prochain, a accepté de répondre à quelques questions d’Afrolivresque.

Théo Ngongang Ouandji est né et a grandi au Cameroun. Il est marié et père de deux enfants. Il réside à Baltimore, dans le Maryland aux USA et est directeur adjoint, chef des politiques du département des transports de la ville de Baltimore (USA). Il capitalise plus de 20 ans d’expérience dans les secteurs public et privé dans les domaines de l’aménagement urbain et régional, de l’aménagement des transports, des politiques publiques et de l’administration publique. Il siège à de nombreux conseils et est diplômé de la promotion 2014 du programme LEADERship du Greater Baltimore Committee.

Pouvez-vous nous raconter l’aventure humaine que représente la parution de Nos Années 80 – On va faire comment ?

De prime abord, on pourrait dire que rien ne me prédestine vraiment à l’écriture, pas à cette période de ma vie. Ni mon métier d’urbaniste ni ma formation d’architecte n’y sont directement liés. De plus, je vis dans un environnement Nord-Américain où l’on parle l’anglais et un peu d’espagnol, mais pas de français du tout. J’écris sur le Cameroun, mon pays certes mais un pays que j’ai quitté en 1985. Je suis le produit d’un environnement assez complexe quand on le décrit. Pour beaucoup de Camerounais, j’appartiens à la classe bourgeoise de par les fonctions qu’a occupées mon père dans la haute administration Camerounaise, et donc je fais partie du « problème ». Pour d’autres je suis tout simplement trop loin des réalités actuelles pour y consacrer une œuvre littéraire ! La réalité est simple et complexe : je suis une combinaison de tout ça, mais je suis aussi bien sûr un observateur attentif et averti de la société Camerounaise.

Et quel serait le registre qui vous conviendrait le mieux ?

Je ne rentre dans aucun moule, je ne prétends pas faire une thèse ou une encyclopédie sur les problématiques de développement ou même de l’endettement des pays pauvres, mais je suis juste un observateur qui dit ce qu’il voit, qui crie quand il a mal, qui applaudit quand les Lions Indomptables (l’équipe nationale de football) gagnent et qui a pensé à partager tout un pan de vie de sa génération de l’adolescence à la vie d’adulte, une espèce de chronique des années 80, vue sous un angle ludique et nostalgique ! L’aventure humaine commence donc par la rédaction de petites histoires que je collecte avec l’idée de les rassembler un jour dans un livre. Puis, en racontant ces histoires autour de dîners entre amis, je les enrichissais tous les soirs avec des détails venant des autres. Parfois aussi, au gré de l’actualité, ces histoires devenaient de véritables articles que je publiais sur les réseaux sociaux. J’absorbais ensuite les commentaires pour saler ou sucrer ces histoires et les rendre à la fois divertissantes et instructives.

Theo Ngongang-OuandjiLa parution de mon premier essai est la culmination de ce processus de production et d’accumulation d’histoires et d’anecdotes que j’ai entrepris il y a quelques années. C’est aussi l’aboutissement d’un rêve qui me hantait depuis longtemps. De plus, ma passion pour la lecture depuis ma tendre enfance (j’étais un véritable rat de bibliothèques) est certainement un facteur ayant contribué à ma décision d’écrire. J’ai été accompagné dans cette aventure par les encouragements de ma famille et les multiples souvenirs nostalgiques de mes amis qui ont fait de moi une espèce de porte-parole (de facto) d’une génération, de notre génération.

 

 

Theo Ngongang Ouandji, vous avez choisi un titre assez original pour ce recueil. Qu’est-ce qui vous l’a inspiré ?

Merci pour l’appréciation. Je le prends comme un compliment ! Au fil de mes voyages successifs au Cameroun, j’ai noté avec consternation que la dégradation de l’état d’un certain nombre de choses (environnement, infrastructure, éducation, santé publique, mœurs, habitudes alimentaires, relations entre différents groupes ethniques etc.) ne choquait plus personne. Quand je demandais naïvement « pourquoi » je m’entendais répondre « on va faire comment » ! Je me suis donc dit qu’il fallait que je tire ma sonnette d’alarme à moi, d’autant plus qu’il fallait aussi que je trouve le moyen d’expliquer à mes enfants pourquoi ce Cameroun-là ne ressemble plus au Cameroun dans lequel j’ai grandi : l’écriture devint donc mon refuge et ainsi naquit Nos Années 80 – On va faire Comment ?

Votre style d’écriture n’est pas courant dans la littérature camerounaise. D’histoires à mi-chemin entre le pamphlet et satire, qui derrière leur apparente légèreté, disent tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. Qu’est-ce qui vous a poussé à adopter ce format ?

Au départ, le format n’est pas vraiment défini ! Comme je l’ai dit précédemment, je discute avec plein d’amis, je partage mes sentiments avec certains proches et tout doucement se tisse une toile qui devient le background de mes histoires. Je les compile, les accumule, les lis et les relis, puis je les assemble donc presque verbatim, dans ce qui devient mon premier essai littéraire.

Je raconte des histoires, nos histoires, mais le support n’est plus la table de la salle à manger ou le fauteuil du sous-sol de la maison, mais plutôt mon œuvre, livrée maintenant au monde entier. Mon désir de communiquer directement avec mes lecteurs, de les emmener dans tous les endroits que je décris, de les faire danser en même temps que moi sur les mélodies de l’époque de notre jeunesse, et nous rasseoir tous ensemble sur les bancs des écoles et collèges qui nous ont façonnés, tout ça, rentre un peu dans la genèse de mon style d’écriture : je voulais une audience « active », plutôt que passive, debout plutôt qu’assise, une audience qui pourrait même compléter mes propres phrases tellement on serait en phase quand elle lirait mes récits. Puis, juste au moment où cette audience semble avoir pris le rythme, j’injecte donc, finement j’espère, un peu de vitriol, question de nous maintenir dans ma réalité à moi au moment où j’écris : constat de la triste situation actuelle du pays en la comparant à notre époque. Puis enfin, mon style est aussi imprégné du souci de communiquer avec toutes les couches de la population Camerounaise, du vendeur de Soya[i] au professeur d’université, de la coiffeuse du salon de coiffure à la chef d’entreprise, d’où la simplicité qui en découle. Enfin, la volonté de s’adresser à la génération qui nous suit, celle de nos enfants, nièces et neveux, m’a poussé à rester assez léger dans le style, car il faut être à la fois, court, succinct, marrant tout en gardant un message à transmettre.

Dans quelques anecdotes, vous soulignez les prémisses d’une crise politique qui prévaut aujourd’hui notamment dans les régions anglophones du Cameroun.

Dans le dernier chapitre de Nos Années 80-On va faire comment, en guise de pseudo-conclusion, je dis que nous Camerounais sommes tous responsables de la triste situation dans laquelle se trouve le pays aujourd’hui. La réalité, c’est que les responsabilités, bien que partagées, sont de niveaux et d’ordres différents. Ceux qui nous gouvernent ont abandonné certaines de leurs fonctions régaliennes, ceux qui en profitent ne s’en plaignent pas, ceux qui en sont victimes ne semblent plus savoir à quel saint se vouer et donc baissent aussi les bras. Au final, personne ne fait plus rien, ou pire, personne ne contrôle plus rien et le chaos s’installe tous les jours de manière durable.

La situation dans les provinces du Nord-Ouest et du Sud-Ouest en est une parfaite illustration. Sans vouloir remonter entièrement le cours de notre histoire, disons que les événements successifs tels que la Réunification de 1961 puis l’Unification de 1972 traînent leurs parts d’impacts négatifs sur la situation actuelle. En plus, dans l’univers collectif de beaucoup de Francophones, nous nous sentions supérieurs aux Anglophones, nous cultivions ce complexe de supériorité à l’école et partout ailleurs, dans les activités sociales et familiales, aidés en cela par les lois et réglementations d’un gouvernement central et fort à Yaoundé qui n’en percevait pas encore les effets « secondaires ». Les séquelles psychologiques et les frustrations accumulées qui en découlent au fil du temps ont laissé des traces presque indélébiles chez nos frères et sœurs de ces régions.

En lisant votre livre, on a le sentiment que les messages véhiculant des valeurs morales de probité, d’excellence et d’effort sont peu audibles dans la société camerounaise en 2018.

Notons d’abord ensemble que ces valeurs que vous évoquez sont celles avec lesquelles nous avons grandi, dans ce même Cameroun, dans les années soixante-dix et 80. L’analyse rétrospective que je fais au travers de cet essai a pour point de départ la comparaison entre deux périodes. Le changement de mentalités qui s’est opéré entre-temps dans la société et que nous observons aujourd’hui (en 2018) est le résultat de l’accumulation de plusieurs facteurs négatifs successifs et du rêve qui s’est progressivement envolé, du haut au bas de l’échelle de notre triangle national. On cultive la paresse, les raccourcis à tous les niveaux, on ne lit plus, on regarde une télévision qui manque de consistance, on vole car on n’est plus puni quand on le fait, on parle d’argent dans toutes les conversations, et pire, avoir de l’argent devient le but de toute entreprise humaine. Et si le travail n’est plus récompensé, on ne travaille donc plus puisque aucune sanction ne suit. Le tribalisme est érigé en système de gouvernement, les voleurs sont décorés et respectés, les cybercafés ont remplacé les bibliothèques, les bars se sont multipliés pour nous aider à enterrer nos soucis etc. Voilà la situation ! C’est un tableau sinistre que je peins, je le reconnais, mais je suis aussi réaliste car il faut en parler. La société n’est plus réceptive aux valeurs d’antan car elle a tout simplement basculé dans un registre ou d’autres valeurs se sont durablement installées. Pourtant, ces résultats pouvaient être prévisibles et surtout évités.

Theo Ngongang Ouandji, certaines voix au Cameroun s’élèvent contre la diaspora disant que la critique d’un système ne saurait se faire depuis l’extérieur et serait donc illégitime. Que répondez-vous à cela ?

Je réponds simplement que la diaspora n’a pas le monopole de la critique, il y a des millions de Camerounais de l’intérieur qui se plaignent tous les jours, qui marchent au risque de leurs vies pour implorer le changement, qui réclament tout simplement le droit à la dignité humaine face à une machine qui les appauvrit tous les jours. C’est donc fausser le débat que de penser que nous qui vivons à l’étranger sommes les seuls à relever et soulever les inconsistances d’un système qui ne produit pas de richesses. Ensuite, j’ajouterais que pour notre génération, nous n’avons pas nécessairement fait le choix de vivre à l’étranger, je note dans mon livre qu’en partant du pays, nous rêvions tous d’y retourner et de contribuer à son essor (qui semblait être bien parti dans les années quatre-vingt). Notre « exil circonstanciel » est de fait le résultat d’une absence de réelle politique d’intégration de la diaspora dans le processus de développement du pays. Mais je tiens à vous rassurer, nous sommes toujours prêts à y contribuer et nous appelons de nos vœux tous les Camerounais qui pensent comme nous à faire de même. Nos choix personnels de nous établir à l’étranger ensuite ne sont venus que comme mode d’adaptation aux différents pays qui nous ont donné l’opportunité de nous épanouir professionnellement.

Comment imaginez-vous le Cameroun en dehors du fatalisme ambiant que vous décriez ?

J’ai bon espoir que le Cameroun de demain sera de loin meilleur que celui qui nous est offert aujourd’hui. Après avoir lu mon livre, si les Camerounais (ou même les Africains en général) se posent déjà les mêmes questions que moi, le pari est gagné. Ensuite un travail de mise en synergie de ces questionnements, pour y réfléchir collectivement serait une superbe deuxième étape. Enfin, réfléchir comment canaliser les contributions individuelles des Camerounais d’ici et de là-bas pour les mettre en réseau, pourrait créer un début d’organisation ou de réorganisation de nos pensées et réflexions. L’action ultime arriverait quand les Camerounais de ma génération, soutenus par ceux de la génération juste avant nous, et surtout guidés par celle plus jeune, se retrouveraient donc à travailler ensemble dans un Cameroun nouveau. Ceci est un vœu pieux, mais réalisable à moyen terme, car nous ne sommes pas les seuls à en rêver. Vision, leadership et action résument le Cameroun de demain que j’imagine aujourd’hui.

Nous avons appris que Nos Années 80 – On va faire comment ? figure déjà dans la bibliographie des étudiants de Science Po à Paris. Theo Ngongang Ouandji, qu’en attendez-vous et quelle est la prochaine étape ?

C’est une agréable surprise et bien sûr un véritable honneur que de l’apprendre. Je le prends très humblement et comme un encouragement à continuer à susciter le débat intergénérationnel à propos de la situation sociopolitique de nos pays Africains et sur les problématiques autour de leur développement économique. J’espère que mon livre contribuera à faire avancer ces questions.

En termes de prochaine étape, je vais certainement continuer cette nouvelle aventure littéraire en produisant une suite à ce premier essai. Les champs de réflexion sont multiples et foisonnent en ce moment, c’est dû en partie aux réactions et commentaires de mes lecteurs : on pourrait par exemple choisir de donner la parole à des Camerounais de ma génération qui ont connu un parcours complètement différent du mien (du nôtre) et établir comme ça des comparaisons ouvrant la voie à des perspectives différentes sur les choix de développement du pays. On pourrait aussi s’aventurer sur le champ politique et proposer des débuts de solutions aux questionnements soulevés dans le livre, avec comme but l’établissement d’une plateforme de gouvernance. Une autre piste pourrait consister à renforcer certaines vérités historiques évoquées dans le livre, en réécrivant des pans de notre histoire !

Propos recueillis par Erika Daly

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