« Retenez votre souffle » : le pas poétique d’Ismaël Teta est emmailloté de créativité et de zèle. Le poète entreprend de dépouiller sa conscience affective. Ces souvenirs parfois touffus et confus, mais jamais éparpillés qui font « (sur)vivre les fils ». Des remembrances déclenchées par la madeleine de Proust1. C’est-à-dire, la résurgence de certains « ressouvenirs », parce que provoqués par des morceaux choisis des expériences de la vie quotidienne et des rencontres vécues ou déjà vécues, qui reviennent à la mémoire et à l’esprit fortuitement ou volontairement. Et qui, tout en revisitant sans agrafe l’existence du sujet-humain, Teta donc, invitent le lecteur en toute subtilité à adopter une néo-posture critique ouverte sur une certaine esthétique cosmopolitaine dont le but est de fertiliser certains pans du passé.
En effet, le présent fait littéraire suggère la lecture d’une forme poétique d’écriture de soi, d’un Moi dans toute sa transparence et dans toute son opacité. Et ce, non seulement pour laisser libre champ à la caricature de sa quête permanente et constante de la place de « l’image du Bon/Mauvais Dieu » dans son parcours existentiel, mais également son désir d’embrasser l’inconnu – l’autre soi – sans « honte de [l’] aimer/Sans[le] connaître [et]/Sans[le] posséder ». Sous le préau du respect de sa vision du monde. Car, « Même si j’en suis pas heureux, mon âme n’en est pas malheureuse ».
L’écriture poétique d’Ismaël Teta se donne donc à aborder comme une certaine ouverture à l’Autre par la médiation d’un itinéraire et d’une histoire peu ou prou communs. Et dont la débouchée jouissive à un écho pluriel et une résonance universelle vis-à-vis du monde, ses réalités et le cortège de satellites qui le font, l’alimentent et l’animent. Comme quand Balafons2 chantant la trajectoire de la singularité d’un « Je » Mveng qui se transforme progressivement en expression déguisée d’une pluralité, d’une totalité conjuguée : « Je », « nous », « tout », « tous » global !
D’une part, il s’agit de la réécriture-immortalisation de L’épreuve du temps3 d’un itinéraire singulier dont la résonance se voudrait objective et universelle-plurielle en tandem. Et d’autre part, du rendu de la somme des expériences d’un passé qui survit dans le présent, en même temps que les expériences présentes vivent avec les empreintes et les traces du passé. Sans aucune faille. Aucune. Ce paradigme pose d’emblée l’objet de cet opuscule comme le tremplin du décryptage des amours-désamours, des joies, des peines et des errances d’une âme humanitaire « Libre de connaître d’autres hommes/ [et] Libre de connaître d’autres femmes ». Sur aplomb d’une démarche, à fort goût, d’une macédoine de thèmes — qui suscitent chez le lecteur émotion, révolte, compassion et réflexion — couverte du voile subversif d’une versification mêlée, rimée et ceinte d’une audace poignante et sybarite du style.
Pour tout-monde. L’acte poétique de peinture et d’écriture des remembrances du poète par le poète est sélectif. Plus amplement, il est parsemé d’une implication de l’imagination et d’une fissure d’impertinence qui motivent la construction du linteau du nouveau regard à poser sur des thématiques gluantes — les homosexualités notamment – dans ce processus de remémoration. C’est le moyen de postuler « sans recours à un psy/ [la résolution des multiples] « si » hypothétiques qui trottent en chaque homme qui s’engage dans une maïeutique complexe d’un système qui consiste à démêler « tous les aujourd’hui » qui fondent sans toutefois se détremper dans « tous les demain/ [et] Où de vie à trépas, Wouking tu passes » !
[bctt tweet= »Partir de soi, projeter ses vies, sa trajectoire, ses positions, pour chuter sur la saisie de l’autre, du monde et des divers dispositifs sociétaux.Point ! » username= »Afrolivresque »]
Ce recueil de poèmes d’Ismael Teta n’est pas qu’un espace d’expression des remembrances, ressouvenirs, remémoration dont la chape de plomb est sous-tendue par une quête d’un certain « retour dans le présent » à partir des expériences passées. Il est plus que cela. Il se veut une manière de lecture de la poésie, dans le sens d’une contemplation humaniste, comme miroir et mémoire à la fois d’une contribution porteuse d’inventions néologiques et de jeu-agencement de mots, de rimes, qui va s’abreuver à la source d’une imagination qui montre que le « vrai…ment » parfois. Ce sont donc des poèmes qui ont pour point de départ l’exposition d’un itinéraire singulier, et pour point d’arrivée la composition d’un écho pluriel à résonance universelle : partir de soi, projeter ses vies, sa trajectoire, ses positions, pour chuter sur la saisie de l’autre, du monde et des divers dispositifs sociétaux. Point !
En note de fin, l’opuscule d’Ismaël Teta offre au lectorat de lire la poésie autre…ment. Non plus comme simple étalement de sentiments. Tout court. Chanson du beau. Uniquement. Mais dorénavant non seulement comme valorisation d’une certaine esthétique stylistique, mais également comme écriture de soi qui contribue à faire fonctionner les imaginaires particuliers. Ainsi, Réminiscences, une fois posé, devient d’emblée la construction d’un possible regard subtilement différent sur la dialectique de la relation, comme conceptualisé par Glissant, et le rapport existant entre le passé, le présent, la société et l’homme. Touche poétique, espace de lisibilité de ce que la vie, la poésie, fait des hommes et ce que les hommes font de la poésie. Chant d’espoir d’un Moi qui se « confesse à haute et intelligible plume » et dont « Le pouvoir [du] cerveau s’arrête[rait-il] à la ceinture » ? Probablement ? Soit !
1 Marcel Proust, A la recherche du temps perdu, tome 1 : Du côté de chez Swann, Grasset, 1913
2 Engelbert Mveng, Balafons, Clé, 1972
3 Georges Tadonki, L’épreuve du temps, abis éditions, 2014