« Magenta »de Sokhna Diarra Bousso Ndao ou le portait d’une génération boutonneuse et ses vices

par Zila Aset
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"Magenta"de Sokhna Diarra Bousso Ndao ou le portait d'une génération boutonneuse et ses vices

Les morts ne sont pas morts, nous dit-on. Cela est assurément vrai pour Franck Zappa, un artiste musicien disparu au siècle dernier qui pourtant a accompagné la plume d’une contemporaine dans la production de l’opus littéraire qui a pour titre Magenta. Il s’agit du premier roman de Sokhna Diarra Bousso Ndao, paru en 2012 aux éditions L’Harmattan.

Une encre prend source en Afrique, des pages noircies interprètent des classiques de la chanson Rock. Exit les notes mélodieuses de la harpe mandingue. Adieu les Lamb[1] et les effluves de sueurs viriles des lutteurs. Oublions la teinte originale et changeante des eaux du lac Rebta pour découvrir une tout autre curiosité du pays de Senghor : Les oranges mécaniques.

Si de par leur nom, ces produits artificiels font échos à une réalisation cinématographique de Stanley Kubrick dans laquelle les personnages s’illustrent par une violence stylisée, les agrumes dakarois se démarquent par leurs caractères juteux et leurs robes brillant des mille feux d’une éducation inculquée dans les établissements les plus prestigieux de la ville. Il est en fait question de s’imprégner des réalités d’« une partie de la jeunesse qui sait goûter, dans l’oisiveté, les fruits d’une richesse dans l’annexe parentale de la fortune familiale » (Magenta Opus 1 – page 8) et qui par ailleurs fait étalage des vulnérabilités de cette race nubile.

Une jeunesse en déliquescence

L’essentiel de cette trilogie romanesque se résume à la symbolique de la couleur choisie comme titre de l’œuvre. Le premier sens accordé à cette teinte est le vide affectif. Magenta est l’expression du besoin de liens et d’amour du personnage principal, Nourou. Le jeune homme sorti d’un hymen ministériel, a droit à tous les privilèges que lui confère « son ADN estampillé du logo » familial : une immense chambre, des vêtements à la marque du crocodile, des cours de golf, des vacances en Europe, un domestique pour le servir et un nom qui lui ouvre les écluses d’un avenir brillant. Pourtant, dans ce frêle cœur de seize ans s’est installé un poison qui annihile toute sensation de plénitude. Essayant d’atténuer l’acidité de son existence, il se fera une place de choix auprès de l’Ami qui règne en grand seigneur sur cette bande d’éphèbes fortunés qui se livrent sans vergogne à des excès en tous genres.

Dans la serre où prolifère cette espèce fruitière, il y a une « odeur de dealer, de drogue dans la cuisine, le joint que l’on fabrique comme un professionnel, qu’on enroule et que l’on lèche pour allumer du bout de doigts avec un briquet alors qu’il s’éteint » ; une « Pamela l’alcoolique pleureuse en colère, qui pleure sur son amour tordu avec « L’ami » » ; des « alcooliques heureuses qui rient et qui crachent des vérités : « tu sais papa ne m’a jamais aimée » et de plus « il se tape la pute de l’autre ministre qui est le père de la fille là-bas dans les bras du garçon devant la chaine hifi » » et surtout, on y boit « pour boire, sans distinction pour arriver là, où tout le monde en état d’ébriété crie ». (Magenta Opus 1 – Page 28).

Aussi appelée fuchsia ou rose indien, la teinte qui a prêté à l’intrigue ses nuances évoque par ailleurs arrogance et outrecuidance. Ce snobisme outrancier est concentré dans le personnage Junior Kebe alias l’Ami, souverain instigateur des virées de débauches et Don Juan patenté qui utilise pour ses sorties la voiture de luxe de son père alors qu’il n’a pas de permis de conduire. Si le trompe-l’œil fait son effet, il n’en demeure pas moins pour ces jeunes gens que « la vie est sans attrait. L’adolescence sans charme » et que leurs « premiers émois dans le sexe mauvais, les drogues dures et les shots de Tequila masqués par l’odeur de l’after shave, s’apparentent à un vide délictuel d’apparence morne » (Magenta Opus 2 – Page 37).

Magenta, couleur préférée de Garmy, raconte le cheminement décadent d’une « môme influençable » qui a eu de « mauvaises fréquentations » et des « yeux plus gros que le ventre » (Magenta Opus 3 – Page 65). Nourou s’entichera de cette étudiante qui occasionnellement se prostitue pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. Si le coloris résultant de la fusion entre le bleu et le rouge évoque l’union entre deux univers différents, le livre quant à lui met en scène une idylle sur fond de luttes de classes. L’histoire d’amour entre le fils d’un diamantaire et d’une fille issue d’une petite famille de Thiès ne fera que mettre en exergue la violence des rapports entre les nantis et les moins nantis.

Il aura donc suffi d’un pigment, d’un mariage entre le rose et le pourpre pour voguer dans les espaces creux d’une jeunesse en déréliction. Heureusement, Sokhna Diarra Bousso Ndao n’a pas arrêté là son élan de commisération. Elle s’est également attelée à interpeller les parents et les aînés sur l’importance de leurs responsabilités auprès des nouvelles générations.

Appel à l’éveil des consciences

Magenta est le procès d’une élite africaine putride. Le plaidoyer contre une parentalité en échec. Sont sur le banc des accusés, Attia la mère de Nourou qu’il décrit lui-même par ces mots : « Elle n’était jamais en vacances. Pour beaucoup, elle était le Messie, elle résolvait les problèmes des autres avec facilités […]. Moi, mes états d’âme passaient en dernier, toujours. Elle ne pensait jamais à moi ». Le père de Nourou, toujours parti, ne rattrapera pas les manquements d’une mère « très égoïste et bornée » (Magenta Opus 2 – page 12). Puisque « avec le vieil homme, c’était cela, de quoi as-tu besoin ? Combien il te faut pour le régler ? ». Comme si l’éducation d’un enfant relevait uniquement du matériel. Le père de junior et ses multiples maîtresses ne seront pas en reste, et c’est le plus pervers de tous, Zach, qui dévoilera les arcanes ce cercle vicieux.

En définitive, Magenta est un roman à l’ambition sociologique appréciable. Un pamphlet sur la cellule familiale dont il faut cependant relever les écueils. D’abord les nombreuses coquilles qui n’entachent cependant en rien la qualité et la richesse culturelle de la plume. Ensuite, l’absence de références musicales africaines. En effet, pour un roman qui traite de jeunesse africaine, j’ai quelque peu regretté l’absence de sonorités noires qui à mon humble avis auraient plus collé au contexte. Mais n’empêche que, je me suis vite arrimée à l’ambiance rock du bouquin, à un tel point que Franck Zappa fait désormais partie de ma playlist.

Saluons le rendu original que nous a proposé Sokhna Diarra Bousso Ndao qui avec brio a su, sans trahir les genres, à marier la musique et la littérature. Magenta est bien la preuve qu’il y a dans chaque partition un souffle de littérature et de la prose dans chaque note de musique.

 


[1] Lutte traditionnelle sénégalaise

 

 

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