« Lagos Lady » de Leye Adenle : Une critique acerbe des capitales africaines sous forme de polar

par Zila Aset
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Lagos Lady de Leye Adenle Une critique acerbe des capitales africaines sous forme de polar

Non content d’avoir porté au monde Wole Soyinka, Chinua Achebe, Chimamanda Ngozi, ou encore Ben Okri voilà que le Nigeria nous offre Leye Adenle dont la plume s’illustre dans un registre particulier : Le polar.  Lagos Lady est son premier roman. Traduit de l’anglais par David Fauquemberg il a été publié en 2016 aux éditions Métailié. 

L’œuvre s’ouvre sur Guy Collins, un reporter anglais en mal d’amour, envoyé par dépit à Lagos couvrir les élections nigérianes. Alors qu’un soir il souhaite se détendre dans un bar de seconde zone, il découvrira un exécrable scoop qui peut-être revigorera une carrière professionnelle déjà chancelante : « Ils lui ont tranché les seins et ont balancé son corps dans le caniveau. » C’est donc à la faveur – si l’on puit le dire ainsi vu le contexte – d’une sombre affaire d’assassinat et sous le prisme d’un regard étranger que l’on redécouvrira la barbarie ordinaire et effroyablement actuelle d’une des plus grandes mégalopoles africaines.

Lagos, reflet d’une Afrique ténébreuse

Dans l’espace laissé par les mots, on ne peut s’empêcher de deviner en filigrane les tares d’un continent. Celui-là dont les images macabres tapissent les fils d’actualité de nos profils Facebook et alimentent les rubriques faits-divers des journaux locaux. Il ne s’agit pas d’imaginaire, mais plutôt de l’Afrique dans sa plus sombre réalité. Le vérisme de l’auteur est d’ailleurs si perceptible que chaque vocable utilisé entortille les tripes du lecteur dans la glaire du dégoût et c’est avec une pointe d’humour que Leye Adenle nous porte dans le lit de la nausée : « Un frisson de terreur m’a parcourue l’échine en voyant une tête rouler par terre – puis j’ai compris que quelqu’un avait perdu sa perruque, rien de plus ».  Et lorsque prêt à dégueuler, on s’empresse de tourner la page ; nos narines sont prises dans l’étau des senteurs pestilentielles d’une terre qui s’éviscère et démembre ses enfants sur l’autel du fétichisme politique : « Ils lui ont coupé les seins pour leur juju, leur magie noire. C’est les politiciens à cause des élections. Ils font du juju pour gagner les élections » ; de la prostitution : « La fille semblait avoir quinze ans à peine. Elle était nue à part un collier de perles autour de la taille. Elle avait les mains sur les hanches, les jambes écartées, et elle parlait avec un homme, lui demandant ce qu’il voulait qu’elle fasse. La voix de l’homme répondit : ‘’Enfonces-la-toi’’. La fille se pencha pour attraper quelque chose, puis courbée en avant, glissant une main entre ses jambes par-derrière et l’autre par devant, elle enfonça une bouteille de Remy Matin dans son vagin » et des crimes crapuleux : « il découpa le reste du chemisier de la fille et abattit le couteau dans sa poitrine, d’un coup puissant qui traversa la chair et les os. Il tortilla la lame pour la décoincée et recommença ».

Mais il faut se méfier de Leye Adenle. Sa plume a la maîtrise du suspense. Elle sait vous tenir en haleine dans une ambiance rythmée. Avec elle, lorsque l’on croit qu’il n’y en a plus, eh bien, il y a encore. L’artiste ne s’est posé aucune limite. Il a étendu sa fresque sociétale sur le domaine d’une police corrompue : « Les policiers avaient arrêté un Hummer jaune, devant eux. Un poing serré jaillit par la fenêtre ouverte. Un agent pris ce qu’il y avait dedans, le glissa dans sa poche et fit signe au Hummer de redémarrer » ; d’une police encline à l’usage de la torture : « les policiers empoignèrent le garçon. Hot –Temper attrapa son pénis entre pouce et index, et l’inséra dans la résistance chauffée à blanc. Le hurlement du garçon se répercuta à travers tout le bâtiment et une odeur de chair brulée envahit la pièce ».

Ce polar est aussi une critique acerbe des capitales africaines qui très souvent sont écartelées par des dissensions sociales. Pour illustrer son propos, l’auteur n’hésite pas à utiliser deux quartiers frénétiques de la ville légendaire : Victoria Island, habité par des pontes et autres hommes d’Affaires à la fortune douteuse et Ojuelegba « un endroit dangereux le jour, et bien pire la nuit » ou s’entasse tout ce que Lagos peut compter comme pègre. Pendant que les premiers trinquent aux bulles, les seconds s’entretuent à l’arme lourde. L’on pourrait croire qu’un univers les sépare les uns des autres. Que nenni. Il n’en est rien. Entre ces deux mondes, il n’y a qu’un pont symbolisé par Chief Amadi. Dans ce cercle fermé ou l’Etat est quasiment supplanté dans son rôle régalien, les uns commandent et les autres exécutent. Le tableau est certes sombre mais dans ces fonds abyssaux brille tout de même une pointe d’espoir en la personne d’Amaka.

Amaka, la Lagos Lady

De cet amas fourmillant de parasites, une âme humaine s’élève et s’érige en protectrice des prostituées : « Son boulot était vraiment frustrant. Il exigeait une patience surhumaine, et un grand sens du sacrifice. […] Chaque jour, une partie de son être était gommée, pour laisser place à la peur et à l’inquiétude qu’elle éprouvait pour chacune de ces filles ». En plus d’avoir une âme charitable, elle avait un regard à faire chavirer bien des cœurs : « Les yeux d’Amaka… Ils pouvaient me fixer jusqu’à ce que je me ratatine et recule devant eux ».

Armée de son seul courage, notre héroïne arrachera de justesse Collins à un emprisonnement arbitraire. Le prenant pour un journaliste de la BBC, elle lui demandera en échange de mener une investigation sur une série de meurtres et d’enlèvements perpétrés sur des prostituées. Débutera alors un épatant concerto d’actions dont Amaka sera le chef d’orchestre. On ne peut qu’admirer ce bout de femme qui n’a pas hésité laisser tomber la robe d’avocate pour endosser le temps d’une enquête le rôle d’une prostituée. Au péril de sa propre vie, elle essaiera de démasquer un vaste réseau de brigands et trafiquants d’organes humains. Ses efforts, loin d’être vains, seront couronnés de succès. Mais ne dit-on pas « coupez la tête de l’hydre une autre repousse » ?

Entre hôtels chics, bordels, quartiers chauds, fusillades, nous voilà emportés dans une intrigue survoltée qui nous projetterait presque dans les salles obscures d’un cinéma. Sortez le pop-corn s’il vous plaît ! En refermant ce roman, je n’ai pas pu m’empêcher d’imaginer l’actrice camerounaise Patricia Bakalack dans le rôle de la Lagos Lady. D’ailleurs, l’ultime phrase du roman offre de multiples possibilités de scenarios. Je rêve déjà d’une saga en trois volets. Je rêve peut-être et cela n’est pas interdit.  Pour l’instant, je ne peux qu’espérer que ce petit résumé donnera envie à la réalisatrice Francoise Ellong d’en faire une adaptation cinématographique.  Parce qu’il n’y a pas que Tanrantino…

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