Quand on se met devant son petit écran pour regarder une série américaine tendance, on ne s’attend sûrement pas y voir des thèmes de société qui poussent à la réflexion intellectuelle, comme celui de « Nécropolitique » d’Achille Mbembe. C’est pourtant le cas de la série Queen Sugar réalisée par Ava DuVernay, co-produite par Oprah Winfrey et diffusée sur Oprah Winfrey Network (OWN) depuis septembre 2016.
La saion 2 de la série a démarré en juin 2017 et rencontre autant de succès que la première. Queen Sugar est une adaptation du roman du même de nom de Natalie Baszile publié chez Penguin Random House en 2014.
La Louisiane, décor d’une rencontre de 3 trajectoires différentes
La série suit la vie de trois frères et sœurs : deux sœurs, Nova Bordelon (par Rutina Wesley), journaliste engagée et militante de la Nouvelle-Orléans, et Charley Bordelon (Dawn-Lyen Gardner), une femme moderne qui, avec son fils adolescent Micah, laisse sa maison haut de gamme à Los Angeles pour le cœur de la Louisiane pour s’occuper de l’héritage de leur père récemment décédé (une ferme de canne à sucre de 800 hectares). Leur frère Ralph Angel (Kofi Siriboe), un père célibataire qui lutte contre le chômage et doit gérer sa relation trouble avec la mère de son enfant, une ancienne toxicomane.
La nécropolitique est la question essentielle
Dans l’épisode 3 de la saison 2, la journaliste et activiste Nova Bordelon est invitée à Atlanta à participer à un débat avec l’épidémiologiste Dr. Robert Dubois (Alimi Ballard) sur les questions politiques concernant le racisme, la politique d’incarcération massive des hommes noirs aux USA. Les deux protagonistes partagent le même objectif, mais leurs approches sont très différentes. Nova et Robert sont en désaccord sur la sémantique du mot « génocide ». Pour Nova, l’incarcération de masse en est un. Ce que Robert trouve un peu exagéré.
Au cours de ce débat, le concept « Necropolitique » d’Achille Mbembe est évoqué et le modérateur demande l’avis de l’activiste Nova par rapport à celui-ci. Elle répond comme suit :
La nécropolitique est la question essentielle. Qui est-ce que la société désigne comme entité négligeable ou racaille? Qui sont les morts-vivants de la vie réelle? Si ce n’est par la mort physique, la mort sociale, la mort économique ou l’insignifiance politique.
Achille Mbembe et la nécropolitique
Dans une interview accordée au blog Monsieur Buzz le 14 mars 2016, le philosophe, historien et écrivain camerounais Achille Mbembe explique la notion de « nécropolitique » comme suit :
« J’ai utilisé la notion de « nécropolitique » en référence aux formes de pouvoir et de souveraineté dont l’une des principales caractéristiques est de produire activement la mort à grande échelle. Cette économie opère évidemment évidemment de différentes façons en fonction des histoires particulières des sociétés.
Pour le reste, le terme s’applique de manière générale à toutes les formes de domination fondées sur le gaspillage considérable des vies humaines. Il s’agit très souvent de régimes de domination sans responsabilité, dans lesquelles la souveraineté consiste en l’exercice d’un droit de vie et de mort sur ceux et celles que l’on a, au préalable, réduit à l’état d’objet. »
Achille Mbembe a développé cette notion dans un article intitulé « Necropolitics » (trad. du lamba par Libby Meintjes, Public Culture, vol. 15, n° 1, hiver 2003, p. 11-40). Une version en français a été publiée dans la revue de théorie politique Raisons politiques, n° 21, p. 29-60. Cet article est disponible en téléchargement gratuit ici.
Achille Mbembe est né au Cameroun en 1957. Il obtient son doctorat en histoire à l’université de la Sorbonne à Paris, en France, en 1989. Par ailleurs, il est titulaire d’un DEA en science politique de l’Institut d’études politiques, toujours à Paris. Reconnu comme l’un des plus grands théoriciens actuels du post-colonialisme, il est intervenu dans de nombreuses universités et institutions américaines dont l’université Columbia de New York, la Brookings Institution de Washington, l’université de Pennsylvanie, l’université de Californie, Berkeley, l’université Yale mais aussi au Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique (Codesria) à Dakar au Sénégal. Il est actuellement membre de l’équipe du Wits Institute for Social & Economic Research (WISER) de l’Université du Witwatersrand de Johannesburg en Afrique du Sud. Ses principaux centres d’intérêts sont l’histoire de l’Afrique, la politique africaine et les sciences sociales.
Source : Wikipédia