Alain Mabanckou, premier écrivain invité sur la chaire de Création artistique, prononcera sa leçon inaugurale, Lettres noires : des ténèbres à la lumière, le 17 mars 2016, à 18h00.
La chaire de Création artistique du Collège de France accueille chaque année depuis 2005 des créateurs dans tous les domaines : architecture, arts plastiques, musique, théâtre (1)… Alain Mabanckou est le premier écrivain à occuper cette chaire.
Avec cette nomination, l’Assemblée des professeurs a souhaité mettre en avant la création et le talent littéraire, mais également marquer sa volonté « de donner la place qu’elles méritent aux études africaines et d’être au premier rang dans la réflexion sur un continent et sur des cultures qui marqueront le siècle qui commence ».
Comme en écho, Alain Mabanckou exprime une joie à double titre, « en tant qu’écrivain, le premier à occuper cette chaire, mais aussi pour cette ouverture à la littérature francophone africaine. Littérature vibrante et riche, en terme de langue, d’histoire et d’enseignements sur notre passé commun ; littérature en résonnance ».
Romancier, poète et essayiste franco-congolais, Alain Mabanckou ne cesse de bousculer la langue française, les idées sur l’Afrique et sur ce que l’on appelle la « pensée noire » ; une réflexion qu’il nourrit d’une profonde connaissance de l‘histoire de la littérature francophone et qui s’accompagne d’un engagement pour un plus large enseignement et une meilleure reconnaissance de ce pan de la littérature mondiale (2).
De la littérature coloniale à la littérature “négro-africaine”
Au Collège de France, Alain Mabanckou va traverser la longue et riche histoire de la littérature d’expression française d’Afrique noire, mais aussi caribéenne et afro-américaine : de la littérature coloniale à la littérature « négro-africaine », vers une littérature qui peut tout simplement dire « je ». « J’appartiens à une génération d’écrivains qui brisent les barrières, refusent la départementalisation de l’imaginaire parce qu’ils sont conscients que notre salut réside dans l’écriture, loin d’une factice fraternité définie par la couleur de peau ou la température de nos pays d’origine. Cette écriture qui devient alors à la fois un enracinement, un appel dans la nuit et une oreille tendue vers l’horizon ».
Alain Mabanckou prononcera sa leçon inaugurale, Lettres noires : des ténèbres à la lumière, le 17 mars 2016. Cette leçon sera suivie, à partir du 29 mars, d’une série de cours et de séminaires ouverts à tous. Un colloque, Penser et écrire l’Afrique noire, se tiendra le 2 mai 2016. L’ensemble de cet enseignement sera disponible en français et en anglais sur le site du Collège de France.
A l’âge de six ans, j’ai découvert « les mots » en langue française. J’avais alors l’impression que cette langue, comparée à mes multiples langues congolaises, était très portée sur l’abstraction. Dans les langues de mon pays d’origine en effet les synonymes sont rares, et l’image occupe donc une place prépondérante pour pallier ce manque. Les mots de la langue française me paraissaient alors très beaux et d’une sonorité mélodieuse. Plus tard, en grandissant, quelle ne fut pas ma déception de constater que tel mot français, bien que recouvert d’une beauté indéniable, exprimait hélas le contraire de la réalité, ne m’offrant pas le vrai visage des choses. Et, le plus souvent, dans nos langues congolaises l’équivalent de ce mot n’existait pas, or il me fallait nommer, qualifier en français. Que faire ? Me croiser les bras ?
Sans doute est-ce à cet instant que j’ai commencé à « fabriquer » ma propre langue française, à entrer dans le processus de la création …
Non, je ne suis pas devenu écrivain parce que j’ai émigré – mais j’ai posé un autre regard sur ma contrée une fois que je m’en suis éloigné. Dans mes premiers écrits – tous ébauchés au Congo – je sentais qu’il manquait des pièces, que mes personnages étaient cloitrés, respiraient à peine et me réclamaient encore plus d’espace. Dans ce sens l’émigration aura contribué à ressortir en moi cette inquiétude qui fonde toute démarche de création, cette inquiétude sans laquelle une œuvre ne reflétera jamais la préoccupation du créateur. L’écriture devient alors à la fois un enracinement, un appel dans la nuit et une oreille tendue vers l’horizon…
Alain Mabanckou
« Lettres noires : des ténèbres à la lumière »
Leçon inaugurale le jeudi 17 mars 2016, à 18h00
Cours les mardis à 14h00 (à partir du 29 mars), suivis d’un séminaire à 15h00
Alain Mabanckou se propose, « en créateur libre », de s’interroger sur la littérature d’Afrique noire contemporaine en français, sur ses lieux d’expression, sur sa réception critique et sur ses orientations au présent. Il insistera également sur l’aventure de la pensée africaine – on parle aujourd’hui de « pensée noire », sur la place de l’Histoire (passée ou contemporaine), sur l’attitude de l’écrivain africain devant l’horreur – notamment face au génocide du Rwanda ou aux différentes guerres civiles qui ont donné naissance à un personnage minuscule, terrifiant et apocalyptique : l’enfant-soldat.
La présence des historiens, des écrivains ou des philosophes qui interviendront dans les séminaires aura pour ambition d’illustrer la richesse des études africaines qui constituent désormais une discipline autonome dans les universités anglophones, en particulier américaines.
Programme complet des cours et séminaires
Colloque le 2 mai 2016
Alain Mabanckou souhaite que ce colloque « résonne comme un appel à l’avènement des études africaines en France». Y sont conviés des écrivains, des professeurs, des historiens, des penseurs et « d’autres esprits du temps présent »: Achille Mbembe, Souleymane Bachir Diagne, Séverine Kodjo-Granvaux, Romuald Fonkoua, Catherine Coquio, François Durpaire, Rokhaya Diallo, Françoise Vergès, Pascal Blanchard, Pap NDiaye, David Van Reybrouck ou encore Dominic Thomas ; autour de 4 grands thèmes : « Penser l’Afrique » – « Écrire l’Afrique aujourd’hui » –
« Écrire la « France noire » : la diversité en question » – « L’Amérique au miroir de l’Afrique« .
L’ensemble de cet enseignement sera disponible en français et en anglais sur le site du Collège de France.
Source: Communiqué Chaire de Création Artistique (2015/2016) , photo Droits Réservés
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1 Se sont succédés sur cette chaire : Christian de Portzamparc, Pascal Dusapin, Pierre-Laurent Aimard, Jacques Nichet, Anselm Kiefer, Gilles Clément, Karol Beffa, et Tony Cragg.
2 Alain Mabanckou est l’un des quarante-quatre signataires du Manifeste pour une littératur -monde en français publié en mars 2007 et qui commence ainsi : « Plus tard, on dira peut-être que ce fut un moment historique : le Goncourt, le Grand Prix du roman de l’Académie française, le Renaudot, le Femina, le Goncourt des lycéens, décernés le même automne à des écrivains d’outre-France. Simple hasard d’une rentrée éditoriale concentrant par exception les talents venus de la « périphérie », simple détour vagabond avant que le fleuve revienne dans son lit ? Nous pensons, au contraire : révolution copernicienne. »