Cette année 2017 marque le retour après 12 ans d’absence d’Aminata Sow Fall avec la parution de L’Empire du mensonge publié aux éditions Khoudia/CAEC. L’occasion pour moi de parler de cette pionnière de la littérature africaine en évoquant son roman La grève des battù (Serpent à plumes, 2009). Il lui avait valu le Grand prix littéraire d’Afrique Noire en 1980 et a été adapté au cinéma par Cheikh Oumar Sissoko.
Au nom d’une ambition personnelle
Le roman s’ouvre sur Mour Ndiaye, directeur du service de salubrité de la ville de Dakar. Un homme ambitieux qui peut s’appuyer sur l’efficacité de son fidèle et dévoué adjoint Kéba Dabo. L’intrigue s’installe dès les premières pages. L’ambitieux Mour Ndiaye veut débarrasser la ville de tous ces mendiants qui font l’aumône avec leur battù (sorte de calebasse – sébile – utilisée par les mendiants pour recueillir les dons). Il mettra un zèle particulier à exécuter cette circulaire ministérielle.Mour Ndiaye charge son bras droit de se délester de tous ceux qu’il considère comme des « loques humaines » des coins stratégiques de la ville. Les rafles seront si efficaces qu’aucun mendiant ne sera plus visible. Mour Ndiaye veut continuer à gravir les strates de la société et ne veut pas que les mendiants fassent obstacle à cela.
La caste insurgée
Dans le camp opposé, l’auteure nous décrit cette population non seulement d’indigents, mais aussi handicapés. Dans cette ville, chaque endroit est associé à un mendiant. Ils font corps avec la ville et sont organisés. Chacun d’eux est associé à des lieux précis de la ville. Des sortes de repères pour tous.
Salla Niang est celle qui reçoit les mendiants pour le tirage au sort de la tontine quotidienne dans l’enceinte de sa maison. Elle fait office de porte-parole des talibés (enfants mendiants) et de tous ces marginaux. Son poste à elle, c’est l’hôpital de la ville, où elle mendie avec ses enfants.
Gorgui Diop, le vieux comique qui arrache l’obole en jouant des saynètes, devant sa banque entre le vingt-cinq et le dix du mois.
Nguirane Sarr, l’aveugle tiré à quatre épingles, qui se place toujours au rond-point qui mène à la présidence. Les visiteurs superstitieux donnent toujours une pièce pour que l’entrevue avec le président se passe sous les meilleurs auspices possibles.
Et Madiabel le boiteux, ancien forgeron, avec deux épouses et huit enfants, dont la disparition marque les prémices d’une grève qui ira grandissante.
Teneur sociale du propos
Aminata Saw Fall imagine cette grève pour illustrer un propos : l’importance des miséreux dans une société. Le roman raconte la prise de conscience par les mendiants de leur importance, d’abord par la clairvoyance du borrom battù aveugle (Nguirane Sarr) et de la ténacité de Salla Niang. Il raconte également comment l’ambition démesurée d’un ancien talibé (Mour Ndiaye), le mène à se confronter à ceux qui étaient ses frères de même condition sociale. Lui, ancien talibé, qui aurait dû avoir de la compassion pour cette condition qui était la sienne. Les personnages secondaires accompagnent cet affrontement en y rajoutant des histoires parallèles, telles que l’émancipation de la femme, le poids de la religion et des traditions.
L’ironie du sort
Mais le sort a toujours son lot d’ironie. Les laissés pour compte deviennent des pierres angulaires à l’heure de faire à nouveau des sacrifices. En effet, pour servir la même ambition qui l’avait poussé à chasser les mendiants hors de la ville, Mour Ndiaye se retrouve obligé de les chercher dans la ville pour accomplir l’offrande sine qua non recommandée par son marabout. À ce moment précis, les premières phrases du roman sont à reconsidérer (avec le sourire) :
« Ce matin encore le journal en a parlé ; ces mendiants, ces talibés, ces diminués physiques, ces loques, constituent des encombrements humains. Il faut débarrasser la Ville de ces hommes – ombres d’hommes plutôt – déchets humains, qui vous assaillent et vous agressent partout et n’importe quand. »
Le procédé d’Aminata Sow Fall pour expliquer l’importance des mendiants est accentué par le fait que l’histoire se déroule dans une société musulmane avec la place qu’y occupe l’aumône. L’aumône comme recommandation du marabout. L’aumône comme pilier de l’islam. Au-delà du contexte, ce texte sociologique pose la question suivante : Le marginal est-il l’ennemi de la société ? Cette question fait écho à une citation de Michel Foucault « une société se définit par ce qu’elle rejette ».
En effet, dans les marginaux de ce roman, on retrouve des handicapés abandonnés à leur sort, des mères de ma famille qui tentent de subsister et autres artistes maudits. Il s’agit de ces marginaux qui permettent de faire une autocritique d’une société. Ils sont le miroir intransigeant de la société.
Aminata Sow Fall nous rappelle dans cette fable que c’est l’interaction entre ceux qui sont socialement à la périphérie et les autres qui fait battre le cœur d’une ville au pouls de ses réalités. Le style est simple, l’intrigue est bien menée et l’humour aussi contribué à nous ravir. Un roman court (176 pages) et efficace. À lire !