André Bion, sa pièce « Au nom de la plume » ou le drame d’une jeunesse Kamikaze du crayon à bille

par Baltazar Noah
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André BION - Au nom de la plume

Et s’il fallait faire un compte-rendu de la pratique du journalisme au Cameroun, en Afrique, et partant dans le monde entier, quelle serait sa forme ? C’est, à coup sûr, cette problématique qui a orienté le travail littéraire d’André Bion vers le drame.

En effet, étalée sur deux actes recoupés en scènes, huit scènes pour le premier acte et trois scènes pour le second acte, la pièce du dramaturge Camerounais donne à lire l’histoire non moins pathétique et émouvante de trois jeunes gens, qui n’hésitent pas à se muer en fins limiers de la presse à scandale et à gage pour se fabriquer une étiquette sociale. C’est-à-dire, des journaleux, des Kamikazes du crayon à bille, « enclin[s] à la débrouillardise et au gombo », qui donnent « indûment une fenêtre indiscrète sur la vie privée des honnêtes citoyens ». Ces bélîtres qui discréditent les « vrais journalistes » : ces professionnels de la communication sociale qui, « Au nom de la plume », collectent, traitent et livrent des informations fondées aux populations.

Qui trop embrasse, mal écrit…

Le nœud gordien de l’intrigue, est, sans détours, l’aventure presque ambigüe de Kouamo, Mantsé et Méka. Trois jeunes gens ingénieux, mais pas suffisamment patients. En effet, ils sont pris aux mailles du filet du chômage, du souci de l’indépendance financière et des frustrations sociales. Un fumet de résignation enveloppe leurs pensées… Leurs mots :

« Lors du délestage de la semaine dernière, alors que la bougie projetait mon ombre sur le mur, ma petite sœur m’a confondu à mon père du fait de ma calvitie et de ma barbe.» ; « J’ai marre d’être encore chez mes parents et de frapper à leur porte pour demander de l’argent.» ; « Mon tuteur me soupçonne même déjà de convoiter sa femme. Ma tante m’inonde de compliments sur mon physique qui se développe de plus en plus.»

Las de devoir supporter ces clichés qui travaillent la société dans laquelle ils vivent, et dont les reflets se posent comme un véritable ombrage à leur réalisation sociale, « les trois têtes » décident de trouver un métier qu’ils peuvent « exercer sans avoir besoin de passer par l’apprentissage ». Dès lors, ils jettent, sans remord ni respect, leur dévolu sur le journalisme. Cette profession pourtant noble, mais prise pour « un métier à [la] portée[de tous] ».

Ainsi, pour la gestation « sur le grill », leur organe de presse, ils se heurtent à des personnages différents les uns des autres et inversement : du cousin de Mantsé Nkonpawa dit Pawa, (journaliste professionnel et intègre qui leur donne le conseil de ne pas rentrer par effraction dans la profession), en passant par Ntsama (simple guide dans le domaine du journalisme, formé dans le tas, qui les renseigne sur le métier) sans oublier M. le Maire (homme politique véreux en quête de reconnaissance).

Les « trois têtes » ne se font donc pas prier pour inverser les paradigmes du « plus beau métier du monde », le journalisme notamment, en faisant de lui le « synonyme de la médisance, de la calomnie ».  De ce fait, à la quête d’une richesse à la Crésus, ils se feront beaucoup de piastres en diffamant plusieurs de leurs concitoyens. Mais, comme qui trop embrasse, mal écrit, ils seront interpellés cinq ans plus tard par les forces de l’ordre.

Une exégèse non moins douloureuse !

André BionD’une plume pas toujours bien tenue, le dramaturge a hissé l’intrigue à la hauteur des maux. Plus sereinement, le théâtre d’André Bion donne à lire le drame d’une jeunesse au carrefour d’elle-même, dépossédée de son avenir et amoureuse de la facilité dans un monde dans lequel la déontologie de plusieurs professions est de plus en plus bafouée et subvertie. Autrement dit, dans un élan fortiche imbibé de quelques gouttes d’humour, il suggère de penser à nouveaux frais les questions sur la communication sociale et la pratique du journalisme. Et ce, dans un contexte camerounais forcément — le dramaturge, notons qu’il est journaliste de formation et actuellement cadre dans l’administration, fait allusion à certaines institutions Camerounaises – où l’écart a supplanté la norme (Hubert Mono Ndzana).

La particularité de cette pièce repose sur l’insertion d’un chroniqueur dans l’intrigue, mieux un commentateur qui rend progressivement compte des différentes articulations de l’intrigue. Cette œuvre théâtrale est intéressante. Et quoi qu’elle ait les allures d’une chronique déguisée, toutefois son découpage en actes et en scènes ne nous sort pas de l’univers théâtral.

Tout compte fait, l’écriture de Bion est simple et plaisante à lire à la fois. Elle a la spécificité de se rattacher aux réalités sociales non seulement sans sortir des carcans de la fiction, mais également sans égratigner la sensibilité du lectorat. En substance, la plume du dramaturge Camerounais est un vibrant rappel à l’ordre dépouillé de toute condescendance-prétention, qui recommande que chacun fasse ce pourquoi il est fait et tout ira bien (Césaire) !

Bissap, tisane ou café ?

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