Quel héritage léguer à la postérité ? Comment immortaliser et redonner vie à ces récits qui ont bercé notre enfance, et qui courent le risque de se noyer dans le vertigineux tourbillon de l’oubli ? Ce sont là les interrogations qui forment la membrane de ce projet. Contes et légendes de mon enfance de Hervé Martial Owono, travail littéraire à la vingtaine de récits, est un vaillant « saut réactif à la fossilisation des trésors patrimoniaux que l’oubli à générer » (Bingono).
En effet, Owono nous livre un rendu allégorique et métaphorique qui favorise la compréhension de divers pan-couloirs de l’existence. Cela à travers un foisonnement d’aventures à cheval entre le rocambolesque et le fantastique. En d’autres mots, des conte-légendes qui, sous le prisme d’une esthétique du pacte, offrent à lire et à comprendre l’origine du monde, son fonctionnement et les rapports qui lient les hommes entre eux, et partant avec la nature.
Renouer avec les sources de la vie !
De « Kabad la chèvre et Essinga le chat » en passant par « L’aventure de fegue, l’enfant rusé », il en ressort que le conteur a réussi non seulement à penser autrement le rapport de la dualité de l’oral et l’écrit, mais aussi à offrir au lectorat une véritable « calebasse de sagesse ». Etiologiques, didactiques, ces différents récits jouent un rôle salutaire dans la saisie de l’intériorité humaine. Éloge subtil de la parémiologie africaine, étude interprétative et explicative des proverbes, qui puise toute sa force dans les dictons, les contes, les légendes.
Plus amplement, découvrir les interdits, ces « interdiction[s][qui n’ont pas du mal] à être respectée[s] par ceux qui avaient connu le feu patriarche de regrettée mémoire », mieux une herméneutique opalescente des traditions-cultures. Exercice de réappropriation de nos imaginaires, nos récits : manière de restitution processuelle à nos enfants leur part d’humanité, « afin qu’ils ne deviennent pas adultes sans cette fondation qui nous rattache aux sources de la vie » à la Binda N’gazolo.
Le conteur camerounais, actuellement en service au ministère de la Santé publique, n’a pas omis de vêtir son écriture d’humour sous la coupole d’« Enam Ngom », Dzom-Ekodo-le-bon-chien », « Ndong Eyenga » et tout le tremblement. De l’instruction dans le jeu, jeu de voix, jeu d’aventures… Jeu de mimes et de rengaines. En effet, cette œuvre bourlingue entre représentation graphique et scénique à la fois. C’est dire que la dose de sa réception est la même, qu’elle soit lue ou jouée sur scène. Néanmoins, ces différents conte-légendes demandent à être dits, afin qu’à chaque bout de l’itinéraire de leur voyage de générations en générations, ici, là-bas et partout, ils « crois[ent] sur [leur] chemin, des hommes, des femmes, des enfants » qui découvriront avec joie l’héritage culturel qu’ils ont en commun, mais qu’ils ignoreraient. Une tâche aux fins ludiques certes, mais essentielle pour la restitution de la mémoire collective.
Par ailleurs, les rengaines incrustées dans les divers textes contribuent à une restitution de la succulence rhétorique des langues africaines. Une action dans l’acte d’écriture du conteur qui contribuerait sans exagération à redorer la virtuosité des subtilités des langues Bantu !
Vive la mémoire collective…
« Contes et légende de mon enfance » se pose, dès lors, comme une contribution virile et surexcitante au projet non moins complexe d’exhumation et d’écriture de la mémoire. Et ce, pour l’entretien de la mémoire collective. Ladite mémoire collective, qui est un principe fondateur de la cohésion sociale, assumerait un rôle singulier dans l’épisode actuel du déroulement de l’histoire du monde en général, mieux Camerounaise en particulier, où l’oubli phagocyte les mémoires sans grand effort. L’œuvre d’Owono a donc l’obsession de l’essentiel : guérison d’une mémoire ivre, agonisante… Amnésique !
On pourrait reconnaître à Owono, à travers la résultante des traces des reflets de son projet, une posture de pédagogue, puisqu’il s’engage à transmettre et à enseigner une richesse-héritage qu’il a lui-même reçu. Un exercice de partage et d’interrogation des méandres du macrocosme culturel africain…Bantu.
En substance, en considérant les divers enjeux critique, étiologique, didactique et stylistique qui habitent Contes et légendes…, il en ressort qu’il serait d’un apport non moins capital pour les jeunes générations en quête de repères dans un univers africain où la profanation des paradigmes des dispositifs serait désormais une mode. Plus sereinement, les producteurs de savoir ont, sous un autre angle d’excellence, tout intérêt à passer ce recueil au crible de la rigueur de leur sens de la pensée critique avec son haleine peu ou prou « bourrage de crânes » (Gaston-Paul Effa). Car, il serait un nouveau corpus exploitable dans le vaste domaine en permanente construction, déconstruction et reconstruction de la littérature orale africaine.
Pour la route, que chante à L’intérieur de la nuit (Leonora Miano) « L’enfant incestueux », dont la vibration des cordes vocales anime cette randonnée au cœur de la mémoire où somnolent ces Contes et légendes de [nos] enfance[s] :
« Mengue ma sœur, je voudrais toucher ta cuisse, car si je vais à l’assemblée des sorciers cette nuit, tu vas te fâcher contre moi » !