Johary Ravaloson : « Le mal existe. Ce n’est pas juste un manque ou un défaut du bien »

par Acèle Nadale
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Johary Ravoloson : "Le mal existe. Ce n’est pas juste un manque ou un défaut du bien"

Afrolivresque a eu le privilège d’échanger avec l’auteur malgache Johary Ravaloson. À l’occasion de la sortie de son roman, Tribunal des cailloux (Dodo Vole, 18 février 2024), il a généreusement accepté de se prêter au jeu de nos questions.

 

 

Né en 1965 dans la ville d’Antananarivo, Johary Ravaloson a tracé un parcours qui l’a mené des bancs de l’université de Paris 2 – Assas jusqu’à la soutenance d’une thèse de Doctorat à La Réunion en 2002.

Johary Ravaloson a su allier sa passion pour l’écriture à une carrière d’enseignant, ce qui l’a accompagné de La Réunion à sa ville natale. Par la suite, il a posé à nouveau ses valises en France pour se consacrer pleinement à la littérature. Il est également traducteur et s’investit dans l’édition.

 

Avec les éditions Dodo vole, fondées avec son épouse Sophie Bazin en 2006, il œuvre à valoriser les arts et les littératures du sud-ouest de l’océan Indien. La revue Lettres de Lémurie, lancée en 2018, témoigne de cet engagement en publiant chaque année vingt-quatre auteurs de cette région, en français ou dans leurs langues, accompagnés d’une traduction française.

Parmi les romans marquants de Johary Ravaloson, on retrouve Antananarivo intime (2021), Amour, patrie et soupe de crabes (Dodo vole, 2019, sélection finale du prix Ethiophile (Paris), sélection finale du prix Les Afriques), Vol à vif (prix du roman insulaire (Ouessant), prix Ivoire (Abidjan)), Les larmes d’Ietsé (Dodo vole, 2012, prix du roman de l’océan Indien (La Réunion).), et Géotropiques (Dodo Vole et Vents d’ailleurs, 2010, prix de La Réunion des livres).

 

Dans cette interview, Johary Ravaloson se dévoile comme un écrivain engagé, dont l’œuvre est profondément enracinée dans la réalité malgache tout en étant universelle dans ses thèmes. Trois aspects de sa personnalité et de son processus créatif ressortent particulièrement : l’importance de la musique dans son rituel d’écriture, la rigueur de ses recherches pour enrichir ses romans, et son univers littéraire teinté de révolte, d’espérance et de courage, avec une sensibilité particulière envers les thèmes sociaux complexes.

Si vous pouviez vivre dans l’univers d’un de vos livres, lequel choisiriez-vous ?

Peut-être dans l’univers de Géotropiques, mon premier roman, où j’ai mis tout ce que j’aime : le surf, les livres et l’amour.
Je dis « peut-être », car le roman évoque une jeunesse semblant éternelle, et je ne suis plus certain d’apprécier très longtemps cette innocence.

Quelle musique correspondrait à la bande sonore de votre dernier livre Tribunal des cailloux et pourquoi ?

Pour Tribunal des cailloux, je choisirais un album de Kristel, un groupe rock de Tana, dans lequel on peut entendre la révolte de la jeunesse contre les ordres établis et où les soucis de genre sont écrasés, considérés nuls et non avenus.

Ainsi, le titre Tao ny maraina (Voici le matin) où souffle également l’espérance d’un nouveau jour.

Quel personnage du Tribunal des cailloux aimeriez-vous rencontrer dans la vie réelle ?

Dans les moments de désespoir, j’aimerais rencontrer la jeune Lys dont la fraîcheur et l’impertinence démonteraient n’importe quel mur du réel. J’emprunterais volontiers aussi la rage et le courage de Lila pour ne pas me résigner à ce qui peut sembler une fatalité.

Quelle est la chose la plus étrange que vous ayez recherchée sur internet pour un de vos projets d’écriture ?

Pour arriver au bout de Tribunal des cailloux, je me suis initié à « la grammaire du silence et de la domination » propre à l’inceste avec Le berceau des dominations – Anthropologie de l’inceste de Dorothée Dussy (Éditions de la discussion – ℇλδ, 2013).

J’ai parcouru aussi des publications comme La violence impensable de Frédérique Gruyer, Martine Fadier-Nisse et Pierre Sabourin (Nathan, 1991) ou encore l’Étude des violences faites aux enfants à Madagascar (UNICEF, 2020) et bien d’autres sur Internet, et j’avoue que je n’ai pas eu la force de les bien lire toutes.

 

Ce n’était pas seulement l’étrangeté, mais l’horreur qui me poussait fréquemment à jeter loin de moi ces ouvrages ou à éteindre l’ordinateur pour aller faire un tour. Il m’a fallu d’abord admettre que le mal existe, que ce n’est pas juste un manque ou un défaut du bien, encore moins le produit de circonstances, mais un choix ; en ce qui concerne l’inceste, un désir « concentré sur son bon plaisir » qu’on cache parce qu’on le sait interdit, qu’on cultive et qu’on assouvit à l’occasion. Un « viol d’aubaine » : elle était là, opportunément, disponible et sans défense.

Si Internet rend d’infinis services pour la documentation, je préfère de loin les recherches sur le terrain. Ainsi, j’ai beaucoup apprécié les courts compagnonnages dans les mines de saphir d’Ilakaka ou avec les convoyeurs de zébus, réalisés pour préparer mon roman Vol à vif.

Avez-vous un rituel d’écriture insolite ou un porte-bonheur que vous utilisez quand vous écrivez ?

Quand je commence à être satisfait d’un texte, je le relis en écoutant Köln Concert de Keith Jarrett, que j’adore. Le texte passe le test si je peux continuer à écouter sans qu’il y ait hiatus dans la relecture. Autrement, je suis obligé d’éteindre la musique et de retravailler.

Merci Johary Ravaloson.

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