Nouvelle chronique aujourd’hui pour vous parler de mon dernier coup de cœur. Il s’agit de Jusqu’à la lie, d’Alain Georges Banassoubek. Ce premier roman de l’auteur est publié à Yaoundé en 2016 dans la collection SANAGA des éditions Ifrikya. L’auteur est un enseignant de langue française et de littérature.
Nous sommes dans la République de la Grande Forêt, dans le cadre d’une société meurtrie par l’oppression du système politique en place qui opprime le bas peuple et n’inquiète d’aucunes manières les tortionnaires. Le cœur de ce roman douloureux est la mésaventure d’une jeune fille, Laure Emagna, qui est violée par son oncle maternel Mobe Dimitri. Ce dernier se soumet à une injonction des forces occultes pour satisfaire sa quête insatiable du pouvoir.
C’est un roman cadencé, avec de nombreux chapitres . Il se développe sur trois parties non titrées constituées de quatre chapitres chacune. À chaque chapitre, on suit un des protagonistes, l’alternance des intrigues crée ainsi un effet de suspense. L’auteur entre autre, aborde, au travers du périple de ses personnages, le thème de la religion en montrant l’impact des églises dites réveillées sur la condition des ménages africains. Il analyse également les mystères de la liberté d’expression dans cette République de la Forêt. La politique, problématique central de l’œuvre, revient dans la bouche des différents personnages qui, chacun à leur manière, boivent le calice de la souffrance jusqu’à la lie.
Laura, élève en classe de terminal, studieuse, dynamique et qui, malgré la convoitise et les tentations des prédateurs nombreux dans la rue, a choisi de rester chaste afin d’honorer son identité “d’enfant de Dieu”. Admirée de tous, et fort de son potentiel intellectuel, elle est promise à un brillant avenir. Elle est toute jeune et est la fille aînée de sa famille. De temps en temps l’oncle Mobe Dimitri, encore célibataire et sans enfant, a pris l’habitude de faire appel à ses services pour l’aider dans l’entretien de sa demeure. Ils n’appartiennent pas à la même classe sociale. Bien qu’appartenant à la même famille, la mère de Laura, contrairement à son frère, vit dans la précarité et la misère. Malgré le mépris et l’indifférence de l’oncle face à leur situation, les deux familles s’évertueront à entretenir tant bien que mal ce lien de parenté. Tout s’enchaîne jusqu’à ce que l’oncle soit confronté à des enjeux de haute importance concernant ses ambitions politiques.
« Certes il commettrait là l’irréparable, un acte crapuleux, l’inceste ! Mais le statut de député qui l’alléchait tant n’allait-il pas gommer ses frasques ? ». P.129.
Du jour au lendemain le cours de la vie de Laura et de celle de ses camarades va basculer dans un couloir sombre. Jusqu’à la lie, un titre qui présage des personnages pour qui la douleur, la colère, la souffrance n’ont plus de secret. C’est un narrateur externe qui nous raconte l’histoire. On sent la tristesse et le tourment de l’héroine devant tant de drames, tant de cruauté.
L’écriture est soutenue, le texte bien écrit. Seulement l’auteur, nous laisse sur notre faim. Il donne la latitude au lecteur de décider du dénouement de l’intrigue. Dans un vocabulaire sombre et poignant, l’auteur suscite l’émotion de son lecteur, qui éprouvera de la compassion et un désir de révolte. L’auteur fait une réflexion assez juste sur les aléas du pouvoir, sur les sacrilèges vers lesquels sa quête peut conduire l’homme et sur la médiocrité, la superficialité des gens.
Jusqu’à la lie est un roman qui invite à l’introspection. J’ai passé un très bon moment de lecture et j’ai hâte de voir ce que nous réserve Alain Georges Banassoubek pour la suite de cette aventure dans l’écriture, et peut-être même pour un tome 2 de cette mésaventure de Laura Emagna.