« Le sang de nos prières » de Béatrice Mendo : Hymne à la résilience

par Baltazar Noah
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« Le sang de nos prières » de Béatrice Mendo Hymne à la résilience - Boko Haram

Philologue et fonctionnaire dans l’administration camerounaise, l’auteure Béatrice Mendo représente, ici, le portrait psychologique et le vécu social et sexuel et des populations du Nord du Cameroun, qui sont travaillées par le groupe terroriste Boko-haram. Voici un récit qui propose la voix de la résilience une fois que l’insoutenable a happé les âmes.

C’est clair, désormais, Allah-Dieu sera obligé…

« J’ai tué mon Dieu-Allah. Mais avant, je lui ai percé les tympans afin qu’il n’entende pas mes aveux.

J’ai tué Allah-Dieu, au point que certains se demandent si jamais il a existé.

J’ai tué mon Dieu-Allah, et je suis vivant. Je suis encore là pour le dire. Je le dis et rien ne m’arrive. Aucune colonne de feu qui tombe du ciel pour calciner mon outrecuidance. Aucune trombe d’eau qui vient noyer ma vanité. Aucune tempête qui survient pour balayer comme un fétu de paille mes convictions de meurtrier… alors, il est bien mort mon Dieu-Allah.

J’ai tué mon Dieu-Allah, afin que tout ce qui arrive à cette terre de misère me soit imputable.

 Je suis la cause des malheurs de ma terre. Dieu n’a plus rien à voir dans le drame que nous vivons. Inutile de perturber la mort de Dieu-Allah avec de vaines prières, à présent c’est moi le responsable des destinées humaines.

Je suis la cause de tout, la fin de tout, la naissance du néant, la justification du chaos. J’ai rendu tout possible, tout comme ce qui est désormais impossible l’est par ma faute.

Je m’appelle Oumarou Kalba. J’ai tué Allah-Dieu. Je l’ai tué pour le bien du monde, musulman ou chrétien ou n’importe quoi. Je l’ai tué, personne ne tuera plus en son nom, ni en mon nom. » p.58

Ici commence le chaos avec Boko haram…

Djamila et Ousmane sont originaires de la région du Nord du Cameroun. Amoureux, à leur manière, et ce, parce que violence et indélicatesse sont au rendez-vous, jour et nuit, dans leur singulière affaire idyllique. Ils ne s’ennuient guère jusqu’au jour où débarquent les adeptes de Boko haram. Ce, même si leur idylle est meublée d’une ingéniosité sans originalité –Ousmane qui s’improvise Michael Jackson septentrional, arme de séduction pour sa dulcinée. C’est clair. Ce sont les violents islamistes de Boko haram qui ont semé l’imbroglio dans leur petit train-train quotidien. Animés par un manque d’esprit criard et d’un machiavélisme global, les « Beaucoup madame » (Boko haram) ont débarqué, volant des vies et violant des corps. Le dédale de bout en bout. Les deux tourtereaux, qui se retrouvent dans le camp des réfugiés d’Olugu, mais toujours hantés par le spectre de la paranoïa et de la schizophrénie, relatent donc, à une journaliste, ce qu’ils ont vécu. Et celle-ci, un sentiment de solidarité l’animant, consigne leurs différents récits dans un journal intime : le présent roman.

Moi, vous, nous… Tous !

On se reconnait et se retrouve dans ce récit, baise-en-ville des différents habitus sociaux et culturels camerounais, mieux africain en général. Djamila et Ousmane, protagonistes du récit sont Moi. Vous. Nous. Tous. C’est, de toute évidence, un miroir vif et sincère que Béatrice Mendo nous tend. Avec philosophie.  Beaucoup d’humour : civilité du désespoir qui enrobe son acte d’écriture. On est, d’emblée, dans ce que nous postulons de nommer un roman-thérapie. Fait littéraire cathartique. Qui prend progressivement la forme d’un cahier intime des deux âmes cassées. Accompagnées par ce qui manque vivement aux populations du Nord Cameroun, vivant dans la psychose atomisée : une psychanalyste, une journaliste improvisée ici, chargée de prendre des notes et d’encadrer Ousmane et Djamila dans cet exercice de restitution-libération de l’horreur qu’ils ont vécu.

Au fil des pages, ceint par le fumet de la sauce piment sec afro du style de Béatrice Mendo, on se rend compte, sans mauvais accord, qu’on est en face, sans jeu d’esprit ni molle espièglerie, d’une écriture qui n’est pas figée. Qui ne se coagule pas. Tellement les rebondissements sont légion et le suspens est partout. C’est, là, un récit, qui ne rime pas, dans une perspective musicale, pour les adeptes de musique classique, avec la musique de Brahms ou de Tchaïkovski qui se disputent le monopole de l’ennui. Les personnages sont vivants, leurs prises de parole sont saturées de « camerounismes », parlures qui résultent de la proximité des langues camerounaises avec le français.

Plus amplement, si l’écriture littéraire est également l’expression des craintes et des souffrances de l’être humain, le récit de Béatrice Mendo se dresse comme ce « Un » discordant qui émet de vifs rayons, et qui, pour irradier, décrie et décrit, dans une dimension de promotion de l’éradication systématique du groupe des islamistes violents du Cameroun, le parcours traumatique presque cocasse de Djamila et Ousmane, deux âmes cassées.

Esquisse critique

Ce qui est nouveau dans cette représentation de la grosse laideur de la violence de ces adeptes de Boko haram dans le Nord du Cameroun est l’approche qu’esquisse la romancière : la formulation de la question de la résilience à la fin de tout ce carnage. C’est donc autrement dit, l’invention d’un possible milieu social et culturel, politisable aussi, inspiré du contexte camerounais, courtisé par moult crises, qui va se transmuer en une résistance singulière, donc pacifique, de non-assignation. Ce qu’il est convenu de lire et d’interpréter comme une Mana, force spirituelle nullement maléfique, nécessaire dans la chaîne de purification des vies volées et des corps violés. Afin que la vie soit vécue, à l’heure de la réinsertion et de la reconstruction sociale, sans balafres.

Ce fait littéraire montre qu’il est possible que l’écriture littéraire se métamorphose en une fiction et en une diction à la fois du féminin et du masculin : c’est-à-dire que l’écriture littéraire se pose dorénavant comme prioritaire au même titre que la politique, l’économie et tout le secouement pour animer les débats sur l’espace public (Habermas).

Tout compte fait, on sent se former ici un dépassement. Celui de l’obsolète et monotone problématique de la domination masculine et de la quête d’affranchissement de la femme réduite au statut précaire de commodité sexuelle. Dépassement du positionnement de l’homme comme être insensible, sans souffrance. C’en devient, dès lors, l’expression forte d’une esthétique de la protestation et de la dénonciation à la fois masculinisées et féminisées, comme un souffle d’espoir et d’espérance, contre un mouvement faussement subversif qui, heureusement traqué par les forces armées camerounaises, bafoue, foncièrement, les droits humains : Boko haram.

Vous avez dit nouvelles écritures littéraires africaines francophones, et partant camerounaises ? Ici, c’est la psychosociologie de la littérature que Béatrice Mendo déploie. Dans un écrit-fleuve, écrit-cercueil. Avec style !

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