« Le silence du totem » de Fatoumata Ngom

par Zila Aset
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En refermant Le Silence du Totem, primo roman de Fatoumata NGOM, jeune auteure africaine publiée aux Éditions L’Harmattan en avril 2018, je n’ai pu dans ma mémoire freiner l’élan de ces paroles adressées en 2005 à M. Dominique de Villepin, alors Premier ministre de l’État français :

L’Unesco, au sein de laquelle la France occupe une place de choix, postule qu’il appartient à chaque État de gérer son propre patrimoine culturel et historique. Le peuple du Bénin très attaché à sa culture ne comprendrait pas un refus de la France à restituer les traces de son histoire glorieuse. Les liens qui unissent le Bénin à la France militent pour la restitution de ces œuvres d’art.

Ces mots de Madame Taubira auraient pu être prêtés à l’héroïne de l’œuvre, Sitoé Iman Diouf. Une jeune anthropologue sénégalaise qui, après des études dans de prestigieux établissements français, voit son destin basculer suite à une mission particulière, à elle, confiée par son supérieur hiérarchique. Alors qu’elle doit organiser une exposition, Sitoé découvre dans une réserve secrète du Musée du Quai Branly, une magistrale sculpture représentant un guerrier au corps d’humain et à la tête de serpent ornée de grands yeux jaunes. De cette merveille artistique émane une telle aura que Sitoé en est captivée au point d’entendre les battements des tam-tams et les chants endiablés de son village natal Khalambass. Littéralement hantée par cette sculpture, la jeune Sérère décide d’investiguer, et finit par découvrir que la fameuse statue est un totem millénaire de son clan.

L’intrigue fait ainsi écho à la célèbre affaire des biens culturels « mal acquis » et soulève de nombreuses problématiques anthropologiques, sans manquer de relancer le débat sur l’immense défi que représente la restitution effective des trésors artistiques.

Le paternalisme Occidental

Rédigées dans un style simple, les lignes de Fatoumata NGOM ne manquent pourtant pas de caractère. Leur encre laisse entrevoir quelques reflets d’un rouge colère. Étalés sur de blanches pages, les mots donnent vie à une insurrection contre la vision paternaliste des nations occidentales qui se parent d’arguments techniques tels que le manque de normes de sécurité et de conservation ou encore un climat pas adapté à la conservation des œuvres:

Au nom du Musée du Quai Branly, de l’État Français, je demande à ce que la statue Pangool ne retourne pas dans son lieu d’origine car elle ne serait pas conservée dans de bonnes conditions. Elle serait alors exposée à de risques d’usure, de détérioration, de pillages, de vols. Pour l’intérêt de l’Art et de la Culture, la place de la statue Pangool est au Musée du Quai Branly.

Toutefois, il y a aussi la question de l’esthétique qui ressort de l’analyse ekphrastique de l’ouvrage.

Au-delà de L’Esthétique

La robe rouge de l’œuvre de Fatoumata NGOM est porteuse de nombreux messages. Cette couleur symbolisant la divinité dans les civilisations gréco-romaines, yoruba ou encore Sérère nous renseigne sur la volonté de l’auteur de sacraliser le lien des peuples à leur patrimoine culturel. S’inscrivant dans le sillage de Pablo Picasso qui, à partir du concept d’intercession, décrivait la relation des nations africaines à leur art, Fatoumata NGOM affirme que l’objet, bout de bois aussi finement taillé soit-il, n’est pas utile à l’émerveillement seulement. La statue Pangool, personnage principal de l’œuvre, a pour les habitants de Khalambass une fonction rituelle qui l’érige en réceptacle de la force sacrée des anciens, et en substitut symbolique doué de propriétés intrinsèques précises.

Comme pour renforcer cette assertion, les masques qui ornent la première de couverture portent haut l’emphase de la croyance selon laquelle le sujet artistique ne porte pas que sur la beauté, mais sur l’efficience même de la beauté.

[bctt tweet= »L’étude des cultures traditionnelles africaines n’a permis jusqu’ici qu’une approche limitée du fait esthétique. » username= »Afrolivresque »]

Pour mieux l’appréhender, il faudrait considérer l’objet dans son essence ; car en Afrique, le phénomène de création artistique est inhérent au contexte et est la manifestation privilégiée d’un type de société.

L’auteure nous invite en outre à considérer les enjeux anthropologiques qui émanent de chaque œuvre d’art. En effet, une production artistique peut devenir un bien commun à un groupe d’hommes et de femmes dont il est l’artefact et ainsi participer à former une identité nationale. C’est du moins ce qui nous est indiqué dans le roman avec la statue Pangool qui est l’expression, de la mémoire et de l’organisation politique du peuple Sérère:

Cette statue comme vous dites, a une fonction autre que celle artistique. Sa place est dans sa terre d’origine. Mon clan doit être son seul gardien

L’emploi de la prétérition dans le titre même de l’ouvrage n’est pas anodin. Le silence. Un silence plus qu’éloquent puisqu’il réussit à se doter d’une jeune plume pour dire avec délicatesse le chagrin d’une âme trop souvent dépouillée de son histoire. Elle marque les esprits pour que nul n’oublie que l’Art n’a pas tous les droits et que primeur devrait être donnée à l’identité des peuples. Sous des airs de plaidoyer romancé, ce silence crie à la justice et une invite à fonder une nouvelle ère dans les relations entre l’Afrique et la France. Plus qu’un bras tendu…

…L’art l’affaire de tous

Les profils des personnages qui se succèdent au fil de chapitres soulignent à suffisance que la préservation du patrimoine culturel est le devoir de tout Être pensant, sans distinction d’âge, de sexe ou de catégories socioprofessionnelles. Que l’on soit une riche héritière comme Marie-Charlotte de Fabrègues, un immigré comme Sitoé Le Goff, une enfant comme Assane Maurice, le fils de Sitoé, tout homme, parce qu’il est doué de sensibilité, peut avoir accès à la création. Accessibilité qui pour autant ne doit se faire au détriment de l’Autre. Pas besoin d’être cultivé pour apprécier l’art, car il y a dans la culture une immense part d’hérédité et donc de transmission. Par conséquent, tous les êtres, même ceux qui semblent dépourvus de connaissances approfondies, jouissent autant du rythme, des sons que des formes et des couleurs.

 

Conclusion

Nous sommes le 26 novembre 2018 lorsque je porte le point final à cette recension. Heureuse coïncidence ou alors signe du destin, mais c’est aussi le jour où sort en librairie Restituer le Patrimoine Africain, une œuvre, fruit d’une vaste réflexion entérinée par Felwine Sarr et Bénédicte Savoy sur la question de la réappropriation des patrimoines par les nations. L’ouvrage ne fait pas que raconter les multiples spoliations au travers de l’histoire, mais énonce également quelques recommandations pratiques pour la mise en œuvre d’éventuels chantiers de restitutions. C’est d’ailleurs en s’appuyant sur celles-ci que la France a récemment décidé de rendre aux autorités du Bénin 26 œuvres, prises de guerre du général Dodds dans le palais de Béhanzin, après les sanglants combats de 1892, appelés le « sac d’Abomey ».

Il me plaît alors à penser que malgré un démarrage lent qui aurait pu en décourager plus d’un, l’intrigue proposée par Fatoumata NGOM n’est pas étrangère à ce résultat. Bien au contraire, elle a été d’un indubitable apport dans le mouvement qui vise non seulement à redonner accès aux peuples africains à leurs patrimoines culturels, mais aussi à poser les jalons d’une histoire franco-africaine pacifiée :

Le conseil des Musées venait de décider que le totem Pangool allait être restitué aux habitants de Khalambass. Après une éprouvante procédure la fin du combat venait d’être sonnée, et la victoire lui revenait. Sa famille et tout le peuple de Khalambass allaient réapproprier leur totem, ses ancêtres allaient retrouver le refuge de leurs âmes et pourvoir enfin reposer en paix. 

 

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