Karen Adediran Nganda est une écrivaine et militante dévouée à l’éducation et à la préservation de la culture africaine. Diplômée en Communication politique et Gestion de projets internationaux, elle a spécifiquement exploré pendant ses études la problématique des droits de l’enfant au Sénégal, en se concentrant sur le phénomène des enfants talibés.
Confrontée à des situations de racisme ordinaire et des micro agressions quotidiennes durant ses études en France, Karen a ressenti une forte nécessité de se réapproprier et de diffuser l’héritage culturel et historique de l’Afrique. Cette aspiration l’a guidée vers la publication de la série Les Icônes de Kimia en 2020, une collection de livres pour la jeunesse célébrant les figures marquantes de l’Afrique. Le premier volume de cette série a rencontré un vif succès, se vendant à des milliers d’exemplaires en autoédition.
C’est à travers le prisme de son expérience unique, tissée d’influences multiculturelles et panafricaines, que cette autrice apporte une contribution inestimable au paysage littéraire.
Parce que l’identité et la culture façonnent profondément l’estime de soi, Karen Adediran Nganda veut mettre en lumière chez les jeunes la richesse, la diversité de la culture et de l’histoire africaines. Elle veut ainsi insuffler aux jeunes lecteurs un sentiment de fierté et d’appartenance.
Karen Adediran Nganda a également fondé la page Instagram @afroconscience, qui compte aujourd’hui plus de 30 000 abonnés. Elle y partage des ressources éducatives sur l’histoire de l’Afrique.
Dans cet entretien exclusif, Karen Adediran Nganda partage les expériences qui ont façonné sa vision, les défis rencontrés dans l’autoédition de sa série à succès, et son engagement indéfectible pour la transformation de la jeunesse africaine et afro-descendante.
Cette conversation révèle les aspirations et les actions d’une femme résolue à utiliser le pouvoir de la parole et de l’écriture pour éveiller, éduquer et inspirer.
Comment votre identité multiculturelle a-t-elle influencé votre écriture et votre perception de la littérature africaine ?
En effet, mon identité multiculturelle a eu un impact déterminant sur ma perception du monde et la littérature en général. Je suis née au Sénégal, mon père est yoruba et cap-verdien, ma mère est capverdienne et malienne, mon mari est congolais, mes beaux-frères sont béninois et togolais. Je me définis donc comme une panafricaine. J’ai pu embrasser différentes cultures africaines au-delà du fait que j’ai eu la chance de voyager dans beaucoup de pays du monde dès mon jeune âge. Cela a renforcé mon discernement, mon ouverture et ma compréhension de l’Afrique, mais aussi du monde.
Vous avez rencontré de nombreux enfants lors de la promo de vos ouvrages. Avez-vous des anecdotes marquantes qui vous ont confirmé l’importance de la diversité dans les personnages de livres pour enfants?
Lors d’un de mes ateliers en Éthiopie, j’évoque “les Droits des Femmes” avec Funmilayo Ransome Kuti, et un garçon âgé de dix ans me dit alors qu’il entend souvent un dicton qui dit que “la place de la femme est dans la cuisine”. Je lui ai donc demandé ce qu’il en pensait ; et avec l’ensemble des élèves, filles comme garçons, on a commencé à en discuter. Je pars généralement de leur propre perception pour amener un sujet.
Toujours lors d’un atelier, je me souviens avoir demandé aux enfants quelle était selon eux la pensée dominante sur l’Afrique et les africains. À leurs âges, ils m’ont répondu : “Les gens pensent que l’Afrique est pauvre” ou encore “Ils pensent qu’ils ont plus de pouvoir que nous”, “Les gens pensent que l’Afrique n’est pas un beau continent”.
C’était le point de départ d’une discussion sur les préjugés et les clichés qui sont accolés à l’Afrique. De voir de si jeunes enfants me dire toutes ses phrases à renforcer ma vision selon laquelle ce travail doit se faire dès le jeune âge. C’’est à ce jeune âge qu’on intériorise toutes ces choses-là et que finalement, on les projette. Il ne s’agit pas de nier nos réalités africaines, mais d’en expliquer les causes sous-jacentes.
Ces échanges me permettent d’introduire avec des mots simples des thématiques comme la colonisation ou encore la conférence de Berlin. J’en profite aussi pour présenter des figures comme Thomas Sankara et le principe de “l’intégrité”, Patrice Émery Lumumba, Aline Sitoé Diatta, et bien d’autres…
Mais tout ce travail est fait chronologiquement. Je commence donc d’abord par leur parler de grands empereurs, reines, guerriers et guerrières africains qui ont régné pendant la période impériale, dont par exemple Soundjata Keita ou la princesse Yennenga. Les enfants sont toujours si fiers de discuter de toutes ces histoires. Ces ateliers donnent vraiment un sens à mon travail.
Quels ont été les défis les plus inattendus que vous avez rencontrés lors de la production de votre série autoéditée Les Icônes de Kimia ?
Sans aucun doute, la logistique et le stockage. Mes livres sont distribués dans plus de dix pays. Au-delà du coût que ça engendre, l’aspect logistique d’un continent à un autre est un réel défi du quotidien. Je pense même que cela représente aujourd’hui au moins 40 % de mon temps de travail.
La distribution aussi est un grand défi. Le secteur du livre est très élitiste. Il est très difficile d’accéder à la grande distribution lorsqu’on s’autoédite, même lorsque l’on a de très bons chiffres et que le produit est de qualité. Le secteur est cloisonné, mais je continue à me battre et j’y arrive dans certains pays même si le chemin est long.
L’une de vos missions est de rendre le livre moins élitiste. Quelles stratégies utilisez-vous pour promouvoir la lecture et l’accès aux livres dans les communautés africaines ?
Je suis ambassadrice sur le volet “culture et éducation” de la Fondation Ozali. On organise une à deux fois par an des dons et des ateliers de lecture en milieux précaires et dans des régions en périphéries des capitales africaines.
En amont, j’organise aussi des collectes de livres jeunesse d’auteurs africains, pour permettre une diversité des lectures en dehors des Icônes de Kimia. L’année dernière, en Côte d’Ivoire, on a donc pu distribuer les ouvrages de Little Nappy, les Super Ilunga, Aida & Eli, Kanika, Kesho Book et d’autres…
Les différentes thématiques permettent d’élargir l’imaginaire des enfants avec des héros et des personnages auxquels ils peuvent s’identifier.
Avant cet engagement, j’avais déjà collaboré bénévolement avec des associations comme Xaleyi au Sénégal ou “ADRNS for the child” avec le même objectif.
Quels sont vos projets futurs pour continuer à influencer positivement la littérature africaine et son accessibilité ?
Le tome 3 arrive prochainement, et d’autres produits surprises ! De mon côté, je fais tout pour rentrer en contact avec divers ministères de l’Éducation, de la Jeunesse ou de la Culture dans certains pays sur le continent africain. En attendant que cela aboutisse, j’ai préparé des kits pédagogiques en plus de mes ouvrages que je propose aux écoles et aux institutions qui sont de plus en plus nombreuses à me contacter un peu partout en Afrique.
Merci à Karen Adediran Nganda, qui, à travers ses écrits et engagements, contribue activement à la valorisation et à la diffusion de la culture africaine. Elle souligne l’importance de l’accessibilité éducative et la diversité culturelle dans la littérature, en particulier pour la jeunesse africaine, afin de forger une identité positive et informée.
Les icônes de Kimia Reliéde Karen Adédiran Nganda (Auteur), Félix Fokoua (Illustrations)
Pour en savoir plus sur le travail de Karen Adediran Nganda : https://afro-conscience.com/