Le 22 mai 2025, le Sénat français a salué la mémoire de Frankétienne, écrivain emblématique d’Haïti et voix influente de la francophonie, en lui décernant à titre posthume sa Médaille d’Honneur. Cette distinction officielle, remise dans le cadre des Semaines de l’Amérique latine et des Caraïbes, s’inscrit dans une volonté de valoriser les grandes voix de la francophonie mondiale.
La proposition d’honorer Frankétienne a été initiée par l’Ambassade d’Haïti en France, quelques mois après la disparition de l’auteur survenue en février 2025. Le lieu choisi pour la cérémonie, le Pavillon de l’Orangerie, situé dans les jardins de la présidence du Sénat à Paris, a accueilli de nombreuses personnalités du monde politique, culturel et diplomatique. Parmi celles présentes figuraient Patrick Delatour, ministre haïtien de la Culture, Louino Volcy, représentant diplomatique d’Haïti en France, Lilas Desquiron, ambassadrice auprès de l’UNESCO et l’autrice Darline Cothière.
La médaille a été remise à Mme Guerda Cadostin, cousine de Frankétienne, mandatée par la veuve de l’auteur, Mme Marie-André Étienne, pour représenter la famille. Ce geste symbolique a marqué un moment solennel de reconnaissance pour un artiste dont l’œuvre traverse les décennies et les frontières.
Le président du Sénat, Gérard Larcher, a prononcé un discours en hommage à Frankétienne et a souligné son influence dans le monde littéraire francophone. Il a évoqué « un alchimiste des mots » qui « s’est toujours tenu aux côtés des plus vulnérables », et a rappelé que « son arme, à lui, c’était la plume ». Pour conclure, il a cité une phrase emblématique de l’écrivain :
Le rêve est le premier des chemins qui conduisent à la liberté. Rêver, c’est déjà être libre.
Frankétienne, pionnier du spiralisme et défenseur du créole haïtien

Frankétienne – Photo Mathieu Bourgois
Frankétienne, de son vrai nom Jean-Pierre Basilic Dantor Frankétienne D’Argent, est né en 1936 à Ravine Sèche, en Haïti. Auteur prolifique, il laisse une œuvre imposante, mêlant roman, poésie, théâtre, essai et peinture. Polyglotte, il écrivait en français et en créole et refusait de hiérarchiser les langues, qu’il considérait comme des véhicules complémentaires de pensée et d’expression.
Parmi ses œuvres les plus marquantes figurent Ultravocal, Mûr à crever, Les Affres d’un défi, ainsi que Dezafi, considéré comme le premier roman écrit entièrement en créole haïtien. Son style, foisonnant, inventif et enraciné dans la réalité haïtienne, lui a valu une reconnaissance internationale.
Frankétienne a participé, dans les années 1970, à la création du spiralisme aux côtés de Jean-Claude Fignolé et René Philoctète. Ce courant littéraire et artistique prône une écriture en perpétuel mouvement, non linéaire, marquée par des ruptures, des entrelacements de voix et une dynamique chaotique, en écho aux soubresauts de la société haïtienne. Le spiralisme s’oppose aux formes rigides et revendique un langage vivant, chargé d’énergie et de résistance.
Frankétienne était également peintre et enseignant, et s’est engagé activement dans la vie culturelle de son pays. Il voyait l’art comme un outil de transformation, capable de faire face à l’adversité et de porter la voix des opprimés. Son œuvre artistique et littéraire a souvent dénoncé les injustices, les dictatures, les catastrophes naturelles, tout en célébrant la résilience du peuple haïtien.
En 2021, l’Académie française lui avait décerné le Grand Prix de la Francophonie pour l’ensemble de sa carrière. Ce prix prestigieux avait déjà marqué une étape importante dans la reconnaissance de son œuvre par les institutions francophones.
Lors de la cérémonie, l’Ambassade d’Haïti en France, Louino Volcy, a rappelé l’universalité du message de Frankétienne et la nécessité de le transmettre aux générations futures. Il a cité une autre phrase emblématique, extraite d’une campagne d’affichage menée dans le métro parisien par la Fondation pour la mémoire de l’esclavage en 2020 :
S’il arrive que tu tombes, apprends vite à chevaucher ta chute, que ta chute devienne cheval pour continuer le voyage.
Il a également rappelé l’engagement de l’ambassade à faire rayonner la culture haïtienne à l’échelle internationale. L’hommage à Frankétienne s’inscrit dans une dynamique plus large de reconnaissance des grandes figures intellectuelles du Sud global et de leur contribution au patrimoine universel.
En honorant Frankétienne, le Sénat français inscrit son œuvre dans une reconnaissance officielle qui dépasse le seul cadre littéraire.